At last... Après avoir résisté durant des semaines, son heure est finalement venue, à cinq jours de son 74e anniversaire : Etta James est morte vendredi 20 janvier 2012 à l'hôpital de Riverside (est de Los Angeles) où elle avait déjà été sous traitement, a annoncé son grand ami et manager de longue date, Lupe De Leon. Son mari Artis Mills et ses fils, Donto et Sametto (qui accompagnèrent leur mère, respectivement à la batterie et à la basse, à partir de 2003), étaient présents à ses côtés au moment où elle s'est éteinte, comme ils le furent ces dernières semaines alors qu'elle luttait contre les complications provoquées par la leucémie diagnostiquée en janvier 2011 et arrivée à son stade terminal.
Une lente agonie...
La diva de la soul et du R&B, que ses multiples visites à l'hôpital en 2011 n'avaient pas empêchée de publier un ultime album (The Dreamer, sorti en novembre et comportant un titre cépusculaire, Too tired), souffrait également de démence sénile, d'hépatite C et d'un syndrome d'Alzheimer, diagnostiqué en 2008, révélé en 2010 par son fils Donto suite à son hospitalisation pour une infection due à un staphylocoque doré. Le 16 décembre, on apprenait que son cancer était en phase terminale : "Nous sommes tous très tristes, nous attendons, c'est tout...", se lamentait Lupe De Lupo. Etta James avait ensuite été hospitalisée en urgence le 23 décembre 2011 en raison de l'aggravation de son état de santé, et placée sous assistance respiratoire, retirée quelques jours plus tard (30 décembre). Elle avait quitté l'hôpital le 5 janvier, ses proches sachant pertinemment qu'il s'agissait de ses derniers moments...
"C'est une terrible perte pour sa famille, ses amis et ses fans de par le monde, s'est ému Lupe De Leon en partageant avec le public la funeste nouvelle. C'était une authentique originale ["impossible à manager", avait-il un jour déclaré, NDLR] qui pouvait absolument tout chanter - sa musique résistait à la catégorisation. J'ai travaillé avec Etta durant 30 ans. C'était mon amie, et elle me manquera à jamais."
Adieu Miss Peaches, diva d'un ancien âge d'or qui traversa les époques et les styles...
Trente années de collaboration, mais pas loin de soixante ans de carrière, pour la fameuse Matriarche du R&B, Jamesetta Hawkins, de son vrai nom. Miss Peaches, comme on la surnommait également en référence à son premier groupe, avait fait sa première entrée dans les charts à l'âge de 17 ans, avec The Wallflower (Roll With Me, Henry), disque qui demeure un de ses standards et qui se classa cette année-là au sommet du top R&B. Une belle revanche sur une enfance perturbée : victime de la vie sentimentale dissolue de sa mère et souvent confiée à des nounous, dont "Sarge" et "Mama" Lu, elle avait subi les pressions de Sarge, qui, après avoir tenté de soutirer de l'argent à l'église baptiste St Paul de Los Angeles où Etta s'était fait remarquer pour sa voix dès son plus jeune âge, la réveillait en pleine nuit et la maltraitait pour qu'elle chante pour ses amis lors de soirées poker arrosées. Un véritable traumatisme.
Installée avec sa mère à San Francisco dans les années 1950, la jeune Jamesetta continua son éducation musicale et fonda un girlgroup, The Creolettes, qui lui permit d'être remarquée par Johnny Otis, lequel leur ouvrit les portes du label Modern Records : les Creolettes devinrent les Peaches, Jamesetta devint Etta James, et le tube Roll with me, Henry surgit. Un tremplin rapidement suivi d'une consécration : passée en 1960 sous l'écurie phare Chess Record, où elle commença par quelques hits en duo avec Harvey Fuqua (leur relation ne fut pas que professionnelle...), elle s'illustra pour la première fois en solo avec la chanson All I Could Do Was Cry. Leonard Chess poussa alors sa protégée vers la pop avec des ballades comme My Dearest Darling. A la fin de l'année 1960 parut son premier album, At Last!, mêlant les reprises et les genres (standards du jazz, blues, doo-wop, R&B) et contenant des chansons destinées à devenir des classiques, tels I Just Want to Make Love to You, A Sunday Kind of Love, ou encore At Last, la cover sortie en 1961 d'une chanson de 1941 de Glenn Miller, qui ne fut pas un hit instantané mais pour laquelle elle est mondialement révérée aujourd'hui, où sa voix somptueuse s'étire et s'alanguit avec majesté. Elle enchaîna rapidement, en 1961, avec un second album, The Second Time Around, surfant sur la même recette (reprises de jazz et de pop saupoudrées de violons) et incluant notamment les succès The Fool That I Am et Don't Cry Baby.
La rage de survivre...
Après une période un peu plus creuse, et abattue par le décès, survenu en 1969, de Leonard Chess, elle s'aventura dans de nouvelles directions dans la décade suivante, le rock et le funk. L'album éponyme Etta James (1973), supervisé par le producteur de rock Gabriel Mekler (connu pour avoir collaboré avec Janis Joplin), fut nommé aux Grammy Awards - récompense qu'Etta James décrochera six fois durant sa carrière. En 1978, illustration de cette évolution de son style musical, Etta James assurait la première partie des Rolling Stones avant de disparaître durant les années 1980, se débattant dans l'héroïnomanie et l'alcoolisme, enchaînant les passages en cure de désintoxication. Son come-back intervint en 1989, avec son arrivée sur le label Island Records et la sortie de l'album The Seven Year Itch. En 1993, Etta James était intronisée au Rock and Roll Hall of Fame, avant de rendre un vibrant hommage à Billie Holiday, elle que d'aucuns appelaient "la Billie Holiday du R&B", avec l'album de référence Mystery Lady: Songs of Billie Holiday, qui lui valut en 1994 son premier Grammy Award. Suite logique de ce retour dans la lumière, elle publiait en 1995 avec David Ritz l'autobiographie A Rage to Survive.
Au panthéon
En 2000, Etta James effectuait un retour aux sources remarqué avec l'album R&B Matriarch of the Blues, suivi de peu par son entrée aux Blues Hall of Fame et Rockabilly Hall of Fame, puis un Grammy Lifetime Achievement Award couronnant en 2003 l'ensemble de son oeuvre et un Grammy du meilleur album de blues contemporain pour Let's Roll en 2005. Son étoile sur le Hollywood Walk of Fame scintille depuis avril 2003.
Un autre type d'hommage lui a été rendu en 2008, lorsque Beyoncé fut choisie pour l'incarner dans le film Cadillac Records retraçant l'épopée du label Chess Records. Outre les approximations du film (At last présenté comme un tube immédiat, romance imaginaire entre Leonard et Etta), Etta James et Beyoncé avaient fait l'actualité lorsque la diva avait vertement critiqué l'ex-Destiny's Child pour son interprétation de At last lors du concert pour l'investiture de Barack Obama. Des propos un peu violents qu'Etta James justifia, se disant triste de ne pas avoir été invitée à la chanter, et mis plus tard sur le compte de sa démence sénile par son fils. Elle eut l'occasion de chanter son classique en mai 2009 sur le plateau de Dancing with the Stars, sa dernère apparition télé. En 2010, sa santé se dégradant sérieusement, elle dut se résoudre à annuler ses concerts, alors qu'elle tournait encore assidument, s'asseyant lorsque ses genoux faiblissaient un peu.
Malgré son affaiblissement, son influence était encore d'une actualité fabuleuse : tandis qu'Adele, superstar de 2011, déclarait en interview qu'on pouvait trouver le nom d'Etta James à la définition du mot "chanteuse", Flo Rida et le DJ Avicii s'illustraient dans les charts et les clubs avec des morceaux samplant Good Feeling de Miss Peaches !
CNN rappelle que, dans une interview accordée à une de ses journalistes en 2002, Etta James remarquait : "Dans la plupart de mes chansons, il y a cette espèce de mélancolie. Elles contiennent ce sentiment de désolation. Je ne sais pas de quoi je suis désolée... Je ne le suis pas !" Mais aujourd'hui, après son départ, tout n'est que désolation pour ceux qui aimaient cette voix intemporelle et cette diva tellement vivante...