Louis Chedid peut bien qualifier tendrement son clan de "famille de cirque", la tribu n'a pas pour coutume de se donner en spectacle ailleurs que sur scène. Chez le patriarche comme chez ses descendants, la pudeur est partie intégrante de l'art. Et c'est également ce creuset d'ombre qui favorise l'irruption des plus beaux spécimens de la chanson française, qu'ils soient poète à la grâce espiègle d'un clown blanc (Louis) ou personnage funky azimuté qui fait du M son emblème (Matthieu).
Tandis que M promène son mister Mystère revigoré à travers toute la France, secondé sur scène par son frère Joseph et sa soeur Anna (qui n'en sont pas à leur premier travail d'équipe avec le frangin), Louis Chedid prépare la sortie de son propre nouvel album. Après avoir apporté une oreille extérieure et prodigué de précieux conseils à M pour Mister Mystère, le tandem a oeuvré, avec une infinie complicité, sur la nouvelle réalisation du papa.
Les adeptes de Louis Chedid en adoreront déjà le titre, en attendant sa sortie officielle le 2 novembre prochain : On ne dit jamais assez aux gens qu'on aime qu'on les aime. C'est long pour un titre, et alors ? Quand il s'agit de dire les choses, les mots ne sont jamais de trop. Louis n'est pas fils de poétesse pour rien. Un adage et une émotion humaine que certains, imperméables au style du bonhomme, trouveront peut-être mièvre et dépassée (on se souvient que Michel Fugain, la même génération que Louis Chedid à 6 années près, chantait dans les années 1980 : "Où vont les gens qu'on aime quand ils s'en vont ?"), mais que le plus grand nombre recevra pour ce qu'ils sont : authentiques. "Cette phrase me paraissait tellement évidente. Je n'ai pas envie de tomber dans le cynisme ambiant. C'est tellement facile de critiquer, de massacrer aujourd'hui", décrypte l'intéressé dans les colonnes du Parisien, paru ce lundi, à quelques semaines d'un jubilé attendu, en octobre, où il reprendra ses morceaux avec ses copains Cabrel, Souchon et consorts ainsi que 900 choristes dans le cadre des "Nuits de champagne".
Emmanuelle Marolle, le mister musique du quotidien francilien, a eu la primeur de ce premier album depuis Le Soldat Rose (2006 - et bientôt une adaptation en 3D), 37 ans après les premiers Balbutiements (1973). Et pour lui, "il y a effectivement beaucoup d'amour dans ce nouvel enregistrement réalisé en famille". D'ailleurs, on notera que le "M" de "aime" existe puissamment dans le titre de l'album...
Pour en arriver là, il aura fallu que M se décide à mettre son mister Mystère, alors en chantier, à l'épreuve de son père, pour que le tandem prolonge tout naturellement la collaboration d'un album à l'autre : "Entre nous, on est assez cash. Je lui ai dit : C'est trop nébuleux, il y a trop d'effets, la voix est trop cachée. Il m'a répondu : Tu veux pas retravailler le son sur une chanson ? et j'ai refait tous les titres. Il a fallu passer par cette étape pour que je propose à Matthieu de travailler sur mon disque. Notre pudeur réciproque a fait que l'on n'a jamais voulu empiéter sur le terrain de l'autre. Matthieu a dû faire son propre chemin dans ce monde musical".
Son propre chemin... avec une même fibre : "Il est mon alter ego, fait fièrement valoir Louis Chedid. Il a commencé à travailler avec moi, il y a dix-neuf ans, sur mes tournées, mes disques. Matthieu est l'un des meilleurs musiciens avec qui j'ai travaillé. Il apporte énormément en très peu de temps."
De fait, l'album à venir, "on l'a construit comme une partie de ping-pong (...) Il n'y a pas eu l'ombre d'une angoisse entre nous". Un père et un artiste comblé, y compris lorsqu'il scrute l'accomplissement de sa progéniture : "C'est très émouvant pour moi de les observer tous les trois sur scène. Mais je les vois avant tout comme des musiciens, pas comme mes enfants. La première fois que j'ai assisté à un concert de Matthieu, je lui ai dit : M m'a fait oublier que tu étais mon fils"."
Et, avec la suite de l'entretien que le savoureux Louis a accordé au Parisien, on finit par comprendre que, On ne dit jamais assez aux gens qu'on aime qu'on les aime, ce n'est pas un exorcisme de la pudeur familiale. Bien au contraire, c'est l'expression d'une satisfaction : celle d'être capable, dans sa famille, de se dire son amour. Sa descendance "s'entend vachement bien, s'aime et se le dit". Cela aussi, c'est une forme de consécration.
G.J.