Dix mois après l'enquête du New York Times qui avait révélé le scandale Harvey Weinstein, Mediapart a dévoilé sa propre enquête. Et celle-ci concerne le grand producteur, réalisateur et scénariste Luc Besson. Dans ce long article publié le mardi 10 juillet 2018, Mediapart clame que "plusieurs femmes accusent Luc Besson" de violences sexuelles diverses.
Est bien sûr citée Sand Van Roy, cette jeune comédienne par qui tout a commencé. Le 18 mai dernier, elle déposait une plainte pour viol contre Besson. La comédienne belgo-néerlandaise raconte qu'entre mars 2016 et mai 2018, elle est victime de relations sexuelles non consenties, "violentes" et allant parfois "jusqu'au sang". Si l'avocat de Luc Besson a qualifié les accusations de la prétendue victime de "délirantes", Sand Van Roy est prête à risquer sa carrière et veut parler. Elle dit avoir "ressenti un mélange d'admiration et de jalousie envers ces actrices qui avaient le droit de parler alors qu'en France il fallait continuer à se taire".
D'un côté, ils la voient comme "docile", elle appelle Luc Besson "mon coeur, mon amour". De l'autre, ils l'entendent dire qu'elle n'en peut plus, qu'elle souffre
Sans fard, elle évoque des rapports sexuels non protégés dont certains forcés (à deux reprises notamment, il l'aurait pénétrée dans son sommeil). "Pendant les actes sexuels, il aime faire souffrir", assure-t-elle. Dans la nuit du 17 au 18 mai 2018, tout dérape. Luc Besson la viole, dit-elle, avant de sous-entendre qu'il aurait pu être violent avec elle. "Le lendemain, son corps porte plusieurs traces, notamment un bleu à l'oeil gauche et trois marques dans le dos – des photos, versées à la procédure et que Mediapart a pu consulter, en attestent", peut-on lire.
Le paradoxe, c'est que Sand Van Roy est proche de son bourreau. "Cela fait deux ans qu'ils entretiennent 'une relation' épisodique", précise Mediapart, soulignant plus loin que la jeune femme "déroutait ses proches". "D'un côté, ils la voient comme 'docile', elle appelle Luc Besson 'mon coeur, mon amour'. De l'autre, ils l'entendent dire qu'elle n'en peut plus, qu'elle souffre", écrit-on. "Par peur des représailles", elle va se taire jusqu'à ce viol dans la nuit du 17 au 18 mai. Quelques mois plus tôt, dans un climat de peur, elle reçoit une vidéo – elle aussi versée au dossier – dans laquelle Luc Besson apparaît avec une boîte blanche dans laquelle se trouve une fausse tête ensanglantée de Sand Van Roy. Une plaisanterie qui effraie plus que tout l'intéressée.
Mediapart cite également une actrice prénommée Mona (son prénom a été changé) qui évoque deux rendez-vous avec le producteur. Le premier à Los Angeles se déroule très bien. Le second, dans les bureaux de Besson aurait dérapé. "Il n'a même pas terminé de fermer la porte qu'il s'est jeté sur moi, pour me toucher ou pour m'embrasser", confie-t-elle. Elle poursuit : "Il se jette sur moi, et je suis contre le mur, donc ma seule façon de sortir, c'est de me jeter au sol." Elle réussira à s'enfuir mais elle n'aura pas le rôle qu'elle convoitait et pour lequel Luc Besson voulait la rencontrer.
Fréquemment, Luc Besson me demandait, en présence du technicien de lui faire une fellation, ce que je refusais systématiquement
Une ancienne collaboratrice, prénommée Amandine, témoigne aussi. Des confessions difficiles à entendre. "Il arrivait ainsi fréquemment dans mon dos pendant que je coachais des acteurs et m'embrassait dans le cou. D'autres fois, il me forçait à m'asseoir sur ses genoux. Il instaurait de plus en plus une proximité physique qui me mettait mal à l'aise", raconte-t-elle. Et d'ajouter : "Un jour, Luc Besson s'est de nouveau glissé derrière moi et au vu et su de toutes les personnes présentes m'a attrapée par les seins."
Après une dépression, Amandine va comprendre qu'elle a "été victime d'un harcèlement moral et sexuel permanent". Elle quitte son poste, puis se fait réembaucher quatre ans plus tard, au détour d'une rencontre surprise avec Besson. Son job est de caster des mannequins pour des publicités. Et le calvaire reprend. "Fréquemment, Luc Besson me demandait, en présence du technicien, de lui faire une fellation, ce que je refusais systématiquement, indique-t-elle au procureur de la République dans une plainte. Une fois, il a accompagné cette demande d'une pression sur ma tête, faisant le geste de la pousser vers son sexe." Selon elle, le réalisateur du Grand Bleu l'embrassait de force, mettait sa langue dans sa bouche, "et bien que je le repousse, il me prenait dans ses bras et me touchait les seins et les fesses".
Son récit ne s'arrête pas là. En 2004, alors qu'elle fait passer des castings, Luc Besson l'agresse à nouveau. "Il m'a plaquée contre le mur insonorisé. Je me suis rendu compte que personne ne pourrait m'entendre si je venais à crier. Luc Besson s'est frotté à moi, m'a touché les seins et m'a mis la langue dans la bouche", raconte Amandine, qui se tirera de la situation en prétextant qu'un mannequin attendait pour son audition.
Il avait un côté paternaliste avec les femmes. C'était affectueux plutôt, renforcé par son côté nounours
Dans les témoignages recueillis, se trouve aussi celui d'un ancien employé d'EuropaCorp. Selon lui, Luc Besson "faisait passer cela avec l'ambiance familiale", comme par exemple le fait de faire des câlins à des femmes ou les inviter à venir sur ses genoux. "Il avait un côté paternaliste avec les femmes", confirme de son côte Sophie Lévy, sa deuxième assistante réalisateur sur Le Baiser mortel du dragon en 2000. "Mais c'était affectueux plutôt, renforcé par son côté nounours." Alice, qui dit avoir été victime de ce côté nounours, ne le cache pas : "Il aime les femmes, mais pas dans le sens pervers, il aime les femmes en général, il les chouchoute."
On a entendu Luc Besson dénoncer Harvey Weinstein et soutenir la Marche des femmes. Pourtant, son nom circule en coulisses. "Je me suis demandé combien de temps ça prendrait. J'ai entendu parler de vous, Monsieur", écrit sur Twitter Rose McGowan après la plainte de Sand Van Roy. Cette dernière a aussi contacté, comme deux autres femmes victimes, Asia Argento.
Cette enquête de Médiapart fait donc acte de deux plaintes à ce jour et depuis la première plainte, Luc Besson, présumé innocent des faits reprochés jusqu'au jugement définitif de cette affaire, a déclaré via son avocat " être tombé de sa chaise".
Dans le monde du cinéma il se murmure aussi que si Luc Besson avait bien une liaison avec Sand Van Roy... ce qui aurait déclenché son dépôt de plainte - petite vengeance ? - serait qu'elle n'aurait pas obtenu le rôle principal du film en chantier du réalisateur Anna, premier rôle qu'il lui aurait promis...
A suivre.