Le 26 février 2009, au terme de 48 heures d'une intensité rare, sous la verrière du Grand Palais, la collection Yves Saint Laurent-Pierre Bergé était dispersée aux quatre coins du monde pour un montant record de 373,9 millions d'euros. Bâtie au cours de cinq décennies au rythme des coups de coeur du couple, cette collection était composée de pièces extraordinaires signées Ingres, Picasso, Goya, Brancusi, Léger, Mondrian, Matisse, Géricault... Ces toiles, tapisseries, sculptures, objets et mobilier Art déco étaient pour la plupart abrités au 55 rue de Babylone, l'appartement d'Yves Saint Laurent et Pierre Bergé dans le 7e arrondissement de Paris. Pour préparer la vente, il a fallu vider les lieux de ses trésors.
Une adresse mythique
Le photographe Luc Castel, collaborateur de Point de vue, a eu le privilège de suivre les préparatifs de la vente du siècle. Le photographe a pu pénétrer au 55 rue de Babylone alors que les oeuvres étaient soigneusement emballées puis conduites au Grand Palais. Ces photos incroyables, accompagnées de textes de Dominique Bacqué, sont réunies dans un livre intitulé Yves Saint Laurent : Les Derniers Jours de Babylone. Derniers jours car le couturier nous a quittés, la collection a été dispersée et l'appartement vendu par Pierre Bergé.
Luc Castel raconte avoir été émerveillé en pénétrant pour la première fois dans l'appartement. "J'avais sous les yeux l'autobiographie d'un couple de collectionneurs", raconte Castel dans Point de vue. Au départ, l'idée d'un reportage, puis la permission de rester une semaine pour "sceller" le lieu, puis celle de suivre les préparatifs et, enfin, d'immortaliser l'appartement vide. Seul photographe autorisé, Luc Castel se rend très vite compte qu'il avait "entre les mains une sorte de document historique de la fin des appartements les plus mythiques de Paris". Sur les photos de Luc Castel, on découvre les oeuvres dans leur jus. Dans le salon, le Goya sur son chevalet dont Bergé a fait don au Louvre, les fauteuils aux dragons Art déco d'Eileen Gray qui ont déclenché l'hystérie lors de la vente (adjugés 21,9 millions de dollars – dix fois leur estimation) ou les deux têtes de bronze du Palais d'été de l'empereur Qianlong, restituées cet été à la Chine par la famille Pinault. Mais aussi les souvenirs, les photos, celle de Betty Catroux, celle de Loulou de La Falaise... Et cette colombe en plâtre achetée 50 francs par Loulou pour Yves et posée sur l'un des vases monumentaux de Dunand.
La vente du siècle
Vint ensuite le "déménagement". Durant trois semaines les "hommes en bleu" vident les lieux. "Je me souviens d'avoir suivi en scooter le camion qui emportait le minotaure pour son exposition au Grand Palais. On aurait dit une procession antique." Lors de la vente, Luc Castel photographie Pierre Bergé qui voit sa vie défiler depuis un petit salon du Grand Palais : "Jamais il n'a bougé de son canapé. [...] Il commentait toutes les oeuvres qui passaient sous le marteau des commissaires-priseurs. Chaque objet était ensuite légendé en quelque sorte. C'était bien plus cocasse que les notices du catalogue", se souvient le photographe.
Pierre Bergé estime que l'on ne possède pas les oeuvres d'art, qu'elles ne font que passer dans la vie d'un collectionneur. C'est donc sans regret qu'il a vu 50 ans de son histoire intime avec Yves Saint Laurent partir au quatre coins du monde. Les millions records rapportés par la vente ont été reversés à la Fondation du couple et à la recherche médicale.
Yves Saint Laurent. Les derniers jours de Babylone, de Luc Castel et Dominique Baqué, aux éditions du Regard, 108 pages, 39 euros.