Aussi rapide sur la piste que discret dans la vie, Christophe Lemaître commence doucement à quitter sa carapace et à se révéler. Car de l'homme, on ne connaît que le sprinteur, premier Blanc à être passé sous la barre mythique des 10 secondes sur 100 m. Pour savoir qui se cachait derrière le jeune homme si discret, aujourd'hui leader de l'athlétisme tricolore, Le Nouvel Observateur est allé à la rencontre du champion à Aix-les-Bains, où il a posé ses valises dans son nouvel appartement.
Souffre-douleur et révélation
Christophe Lemaître, avec cet air gêné du garçon victime d'une timidité maladive, raconte son enfance, jalonnée de brimades, lui qui a longtemps été le souffre-douleur de ses camarades de collège à Culloz dans le Jura. Un simple cheveu sur la langue à l'origine d'un long calvaire : "Parce que je zozotais, j'étais forcément un attardé." Résultat, les journées ne se passent pas sans qu'une dizaine de collégiens ne lui courent après, ne lui volent ses affaires ou ne l'appellent "l'autiste" ou "le trisomique". Pour oublier, Christophe Lemaître se réfugie dans les jeux vidéo, seul. Jamais, il n'en parlera à ses parents, ni à ses deux frères aînés. "Mes quinze premières années ne ressemblaient pas à grand-chose", conclut-il pour refermer ce chapitre.
Heureusement, la journée des associations sportives va changer sa vie. Sa maman, Marie-Thérèse, le pousse à s'essayer à un 50 m lors de test de l'AS Aix-les-Bains (ASA). Son chrono est tel qu'il lui sera demandé de recommencer. Tout s'enchaîne très vite. La semaine suivante, il dispute sa première compétition officielle à Chambéry, le Challenge de la Foire, et triomphe sur 100 m. Pourtant, comme il le confie au Nouvel Obs, il ne connaît ni Carl Lewis ni Marie-José Pérec, les légendes de la piste. Ses seules certitudes : il court vite et a la défaite en horreur. Christophe Lemaître a alors 15 ans.
Timidité et Ku Klux Klan
Le prodige fait très vite parler de lui, et les médias s'intéressent de plus en plus au phénomène. Mais le sprinter reste tétanisé par sa timidité lorsque vient le moment de s'exprimer face aux journalistes. Pour ce qui est de la piste, l'inverse se produit. Le Français se révèle, sûr de sa force. Il faut "bouffer les autres". Pourtant, ce n'était pas gagné si l'on en croit son coach Pierre Carraz à l'ASA, qui se souvient d'un gamin regardant ses pieds, jamais les autres. "J'avais peur de la chambre d'appel, raconte-t-il lorsque vient le moment d'évoquer les championnats d'Europe à Barcelone il y a trois ans de cela. Cinquante-cinq minutes à attendre avant les starting-blocks, à se regarder dans le fond des yeux avec des vieux de la vieille qui savent jouer de l'intimidation. Mais il était détaché de tout ça. Son mutisme lui a forgé un mental."
Résultat, le sprinteur de 20 ans s'impose sur 100 m, 200 m et sur le relais 4 × 100 m. Un record. Qui s'ajoute à celui déjà établi en début de la même année lors des championnats de France en réalisant un temps canon de 9 secondes 98 sur 100 m, devenant ainsi le premier athlète blanc à descendre sous les 10 secondes sur la distance. Revers de la médaille, Christophe Lemaître reçoit quelques jours plus tard un e-mail signé du Ku Klux Klan, rendant hommage au premier Blanc de l'histoire de l'athlétisme à avoir réalisé cet exploit. "Ça faisait peur", confie la star.
L'épanouissement par le sprint
La course, Christophe Lemaître en a fait son mode d'expression, comme il l'explique dans sa biographie La Revanche du grand blond, écrit avec le journaliste Christophe Peralta. Une façon pour lui d'enfin dévoiler qui il est réellement. "Un 100 m, c'est comme voler. On passe plus de temps en l'air qu'au sol", explique-t-il au Nouvel Obs.
Désormais, Christophe Lemaître s'entraîne tranquillement à Aix-les-Bains au côté de sa douce Sophie, qui partage sa vie et ses séances d'entraînement. Une présence importante dans la vie du champion, comme l'analyse son entraîneur Pierre Carraz : "L'échec des JO (Lemaître termine 6e du 200 m), je l'ai vu trop tard. On partait pour Londres le samedi, on l'a pesé : il avait perdu 3 kg. Sophie qui prépare un diplôme pour s'occuper des enfants handicapés était partie dans les Landes en Juillet, il n'avait pas eu la jugeotte de manger." Heureusement, Sophie est revenue depuis. Et on espère qu'elle ne le quittera pas avant 2016 et les Jeux Olympiques de Rio...
"Chrono-Maître", un portrait à découvrir dans son intégralité dans "Le Nouvel Observateur" du 16 mai