Onze ans après avoir perdu son fils unique Mike Marshall, Michèle Morgan s'en est allée le rejoindre. Dernière grande actrice de l'avant-guerre, elle était une icône et un modèle pour des générations d'actrices. À 96 ans, celle qui avait "les plus beaux yeux du cinéma" français s'est éteinte...
Née Simone Renée Roussel en 1920, celle qui deviendra Michèle Morgan est l'aînée de quatre enfants. Elle découvre la scène à Dieppe où son père, un ancien chef de service dans une maison d'exportation de parfums à qui la vie n'a jamais fait de cadeau, a amené sa famille. Et c'est en faisant confiance à son esprit rebelle, celui-là même qui la guidera durant cinquante ans de carrière, qu'elle décide de fuguer et de rejoindre ses grands-parents à Paris, où elle se lance. C'est au Cours Simon, où elle étudie l'art dramatique, qu'elle choisit de devenir Michèle Morgan.
L'ascension sera rapide pour cette blonde solaire au regard aussi envoûtant que charismatique. En 1937, après une poignée de petits rôles, Marc Allégret lui fait confiance en lui offrant son premier rôle féminin face à Raimu dans Gribouille. Dès lors, plus rien n'arrêtera la belle Morgan qui, dès l'année suivante, est à l'affiche d'un film qui deviendra culte : Le Quai des Brumes. La muse envoûte alors Jean Gabin, qui au détour d'un regard amoureux, signera l'une des plus célèbres maximes de notre temps : "T'as d'beaux yeux, tu sais." Ces yeux, ce bleu dans lequel on plonge sachant qu'on finira par s'y perdre, la suivront toute sa vie, à l'image de ses mémoires publiées en 1977 sous le titre, Avec ces yeux-là.
Incarnation d'une sensualité à fleur de peau, d'une femme guidée par ses désirs, sa liberté et son indépendance, Michèle Morgan devient vite incontournable. La guerre l'arrache à la France, elle part alors à Hollywood, où elle rencontre William Marshall, avec qui elle aura son unique enfant, Mike, en 1944. Le destin voudra qu'à Hollywood, Michèle Morgan ne soit finalement pas la bienvenue. Elle échoue à arracher le rôle-clé de Soupçons d'Alfred Hitchcock, voit celui d'Ingrid Bergman dans Casablanca lui échapper et, comble de l'ironie, elle refuse le rôle principal de Johnny Belinda, qui vaut à Jane Wyman l'Oscar de la meilleure actrice, et aussi La Nuit de Michelangelo Antonioni.
Tu crois que quand je disparaîtrai, "ils" écriront ça ?
La véritable histoire de Michèle Morgan se déroule en France. Au sortir de la guerre, elle gagne le premier prix d'interprétation féminine de l'histoire du Festival de Cannes en 1946 pour le rôle de Gertrude dans La Symphonie pastorale de Jean Delannoy. Divorcée de William Marshall, elle épouse Henry Vidal et plonge dans les années 50 avec la folie d'une époque innocente. C'est là qu'elle connaîtra ses plus grands succès, à l'instar du film Les Grandes Manoeuvres ou encore Le Miroir à deux faces où elle rencontre Gérard Oury, son futur compagnon après la mort de Vidal, et avec qui elle restera jusqu'à la mort du cinéaste, en 2006. Dans une lettre adressée à celui-ci, elle écrit : "Les plus beaux yeux du cinéma se sont fermés à jamais. Tu crois que quand je disparaîtrai, 'ils' écriront ça ?" Plus que jamais, cette phrase résonne comme une bien triste vérité.
"Dans sa 97e année, les plus beaux yeux du cinéma se sont fermés définitivement ce matin, le mardi 20 décembre", a annoncé sa famille dans un communiqué transmis à l'AFP. Un service religieux sera célébré vendredi à 10h30 en l'église Saint-Pierre de Neuilly-sur-Seine. L'inhumation aura lieu au cimetière du Montparnasse à 12h30, dans le caveau de famille.