Le procès Pierre Perret contre le Nouvel Observateur s'est ouvert mardi devant le tribunal correctionnel de Paris. Le chanteur poursuit le magazine pour diffamation et injures publiques après la publication, en janvier 2009, d'un article de Sophie Delassein. Dans ce papier intitulé "Pierre Perret et le pot aux roses", la journaliste accuse le chanteur de plagiat et remet en cause de nombreuses déclarations du chanteur dans son livre autobiographique, A Capella, publié quelques mois plus tôt et principalement le fait qu'il ait fréquenté l'écrivain Paul Léautaud.
Devant la cour, Pierre Perret a réaffirmé avoir rencontré plusieurs fois l'écrivain dans les années 50 et dénoncé le "tissu d'ignominies" déversé sur lui par le Nouvel Obs, qui lui "a pourri les deux années qui viennent de passer". Le chanteur a stigmatisé une "entreprise de démolition"! Il est vrai que le papier du Nouvel Obs était, "assassin".
Face au tribunal, Sophie Delassein a remonté le cours de son enquête : "Guy Béart a attiré mon attention sur un certain nombre d'erreurs contenues dans le livre de Pierre Perret (...) J'ai repris tous les écrits ou passages télévisés où Pierre Perret mentionne ses visites chez Léautaud. En les confrontant, j'ai vu qu'aucune date ne collait. Tous les spécialistes de Léautaud que j'ai consultés m'ont dit que cette histoire était une farce."
Guy Béart à l'attaque...
Arrive alors à la barre Guy Béart, le père d'Emmanuelle, pour qui Pierre Perret est un menteur récidiviste : "Tant que c'était le gentil Perret, on lui foutait la paix, mais quand il a commencé à balancer sur tout le monde dans son livre, les gens se sont mis à parler." Guy Béart accuse son confrère d'avoir emprunté ses textes à des poètes et donné cette explication : "Est-ce que Pierre Perret ne souffre pas du fait qu'il n'est pas reconnu comme un grand de la chanson comme Brassens, Gréco, Brel, Ferrat, Ferré ou... Béart ?" Une déposition à charge assez hallucinante où l'auteur de l'Eau Vive, se permet de tutoyer le président de la 17e chambre correctionnelle !
Devant le tribunal, Pierre Perret brandit une dédicace que lui aurait fait Léautaud, le 26 août 1954, mais pour Sophie Delassein, cela ne veut rien dire : "Cela ne prouve en rien qu'ils se sont connus, j'imagine qu'il a pu dédicacer ce livre et l'envoyer par la poste". La journaliste du Nouvel Observateur reste convaincue que ces rencontres n'ont jamais eu lieu et qu'il a tout inventé pour impressionner Brassens.
Mercredi, c'est un défilé haut en couleur qui se déroule devant la cour. Entre un spécialiste de Brassens venu d'Agen et un ancien compagnon de chambrée à qui le chanteur "rebattait les oreilles" avec Léautaud (il expliquera à la cour que Léautaud avait donné à Perret un paquet de cigarettes que ce dernier conservait comme le Graal !), on notera l'intervention du cinéaste Pascal Thomas, spécialiste de Paul Léautaud et collectionneur de ses autographes. Il remet en doute la fameuse dédicace présentée à la cour par Pierre Perret. Selon lui, l'écriture de l'écrivain était plus tremblante en 1954 : "Les rencontres de Pierre Perret sont du domaine du fantasme, une mythomanie."
Line Renaud et... le cornichon !
Un quatrième témoin, cité par le Nouvel Obs mérite toute notre attention : il s'agit du journaliste Henri Roussel, alias Delfeil de Ton, l'un des chroniqueurs les plus anciens et les plus renommés du Nouvel Observateur. Membre de l'association des Amis de Paul Léautaud, il dégomme Pierre Perret à la barre en y prenant visiblement beaucoup de plaisir : "Je suis formel, il n'a pas pu rencontrer Paul Léautaud dans les conditions qu'il dit (...) Imaginer Léautaud supporter plus de quinze secondes les chansons" de Line Renaud, comme il le raconte, c'est "invraisemblable". Tellement invraisemblable qu'il en rit.
C'est alors que l'avocat de Perret, Me Szpiner, propose à Delfeil de Ton de lui lire une coupure de presse, et cela donne ceci : "Perret avait 20 ans. Il arrivait de sa province pour faire son service militaire à Paris. L'admiration le poussait. Il s'est présenté, le 26 août 1954 exactement chez Paul Léautaud. Lequel, alors âgé de 82 ans et célèbre depuis peu (...) le reçut une fois, deux fois, une dizaine de fois, l'accompagne dans les librairies du Quartier latin pour lui procurer les livres qu'il devait connaître... et cerise sur le gâteau que Léautaud "aurait vu Line Renaud à Bobino". Delfeil de Ton demande, l'air dégoûté, qui a pu écrire une chose pareille. L'avocat répond, dans un coup de théâtre digne d'une série américaine, que c'est lui, Delfeil de Ton, en 1987, dans le Nouvel Observateur.
Pris au piège, Delfeil de Ton déclare alors : "Vraiment, je ne m'en souviens pas. Si je m'en étais souvenu, je ne serais venu faire le cornichon ici !"
Cette seconde audience aura duré près de 8 heures. Devant cette avalanche de versions, contre-versions, anecdotes, flou artistique dans les dates et amoncellement de détails, la cour va avoir du pain sur la planche pour rendre son verdict. Estimant que la journaliste Sophie Delassein avait, malgré une enquête sérieuse et approfondie, "manqué de prudence", en se montrant extrêmement "péremptoire" et en ne donnant pas la parole à Pierre Perret, la représente du parquet a requis sa condamnation. Sophie Delassein est une excellente journaliste et il est vrai qu'il est étonnant qu'elle n'ait pas interrogé Pierre Perret. N'a-t-elle pas été "gouroutisée" par Guy Béart et certaine (trop ?) des informations que ce dernier lui a fournies ? On a assisté à un déballage d'égos fort étonnant et le tribunal a dû souvent rire... en douce !
Pierre Perret réclame 215 000 euros de dommages et intérêts.
Verdict le 13 mai prochain.