Mort de Mano Solo : Un ultime hommage à celui dont les rêves avaient la peau dure... Regardez quelques moments forts...
Publié le 11 janvier 2010 à 23:49
Par Guillaume J.
Mano Solo est décédé le 10 janvier 2010 à l'âge de 46 ans... Mano Solo est décédé le 10 janvier 2010 à l'âge de 46 ans...© Abaca
Mano Solo, Dis-moi, live au Bataclan 1995
Mano Solo, interview automne 2009
Le Shalala de Mano Solo à Amboise en 2005
Mano Solo est décédé le 10 janvier 2010 à l'âge de 46 ans...
Mano Solo est décédé le 10 janvier 2010 à l'âge de 46 ans...
Mano Solo est décédé le 10 janvier 2010 à l'âge de 46 ans...
Mano Solo est décédé le 10 janvier 2010 à l'âge de 46 ans...
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On a "le Sacré Coeur gros comme ça" de l'écrire : Mano Solo est mort. Il a finalement rejoint, à son corps défendant (mais plus suffisamment vaillant pour le faire, "les terres acides de la mort" (Amis d'enfance) qu'il a tant bravées et tant explorées par avance : espérons simplement qu'il ait eu le temps de faire le bras d'honneur qu'il avait promis, lors de sa traversée du Styx, le fleuve de la haine, avant de disparaître derrière les flots de l'Achéron (le chagrin) et du Léthé (l'oubli). Autant d'eaux dans lesquelles il a tant et tant navigué, s'est débattu, s'est ébattu... "Déchire cette eau/A grands coups d'hélice/Ta victoire est si triste/Tiens la bien", Mano...

A tel point que, dans son oeuvre, les épitaphes possibles ne manquent pas.

Au début, l'association du fait même de la mort et du chanteur a paru invraisemblable : il faut dire qu'ils étaient colocataires de longue date, à plus forte raison depuis que Mano Solo avait appris qu'il était atteint du sida, au début des années 1990, décidant alors de prendre le micro pour se faire poète morbide et bouillonnant, au bon sens aussi élégant que celui d'un Cioran. Puis la réalité, brutale, s'est imposée, prenant la forme d'un communiqué émouvant publié par son père le dessinateur Cabu et sa mère Isabelle Monin, qui l'accueillit au monde il y a quelque 46 années.

Si on le qualifie volontiers d'écorché vif, et à raison, on n'aurait tendance à ne retenir que le côté écorché d'Emmanuel Cabut, dit Mano Solo, sans accorder l'importance que mérite son côté vif : pas seulement sa vivacité d'esprit, lexicale ou artistique, mais bien plus encore parce qu'il se situait au paroxysme du vivant. Humain, trop humain, Mano Solo s'était révélé en chantre de la mortellité (selon la transcription admise du concept existentiel développé par Martin Heidegger), en barde incorruptible de la condition humaine, explorateur intarissable et inexpugnable de sa finitude. Faisant face à la mort de tout son poids d'être humain, il a célébré, à tout moment de sa vie et de sa carrière, l'existence. Sa musique elle-même, caractérisée par ce cocktail rock-musette qui ne saurait synthétiser la richesse de sa composition (en instrumentation, avec violons, accordéons, clarinettes, piano toujours suprêmement élégant, ainsi qu'en énergie, notamment celle de ses albums plus récents, empreints de vigueur latine, de fougue hispanique, de vitalité africaine), sonnait comme une célébration de la vie... même pas glorieuse, et irradiait comme un talisman.

De cette acuité presque insoutenable était issu le diptyque constitué par ses deux premiers albums, La Marmaille Nue et Les Années Sombres, aux nombreux effets d'échos, thématiques et musicaux. Mano Solo y avait effectivement la gorge à vif, et, dès 1995, il partageait avec son public du Bataclan, un soir gravé dans les mémoires, une bonne et une mauvaise nouvelle : la première étant qu'il n'était plus séropositif, la seconde étant qu'il avait le sida.

Dès lors, quel que soit le degré de morbidité qu'il atteigne parfois, il ne cessera jamais, plus ou moins en filigrane, de dessiner l'espoir qui luit dans toute pénombre, même si, au bout du compte, "A croire encore que la mort est un jeu/A croire encore que j'suis l'plus fort" (Mes amis d'enfance), il savait pertinemment que le "cadavre de l'enfant qu'il fut" serait inéluctablement suivi du cadavre de l'homme qu'il était.

"C'est pas pour ça que j'vais aller dans l'lit d'la Seine pour y dormir", rétorquait-il dans Sacré Coeur. Bien avant le Midi 20 autobio ou auto-fiction qui a révélé un certain Grand Corps Malade, Mano Solo avait passé en revue, sans compromission (incluant la drogue, la valse de l'oubli, la révélation de la maladie, les désillusions, etc.), son parcours, dans 15 ans du matin : "A 24 ans du matin/La mort m'a serré la main/Et en me tapant un coup dans le dos/Elle m'a dit salut et à bientôt/A 27 ans du matin j'ai chopé ma putain de guitare/Et à grands coups de butoir j'écrase le cafard/Ça fait du temps maintenant inexorablement/Passe le temps qui tue les enfants". Mais aussi, dans Toujours quand tu dors : "J'ai la mort aux trousses/Qui me fout les foies/Qui me hante, qui me tente/Qui me vante son antre/Et combattant immobile/J'écoute bouillir mon sang/Ma bile, et battre à mes tempes, le décompte du temps".

Alors, pour ne pas l'attendre, la mort, il a choisi de la braver, de la devancer, de l'humilier. Dans A pas de géant (Les Années sombres) : "Ce n'est pas tant que j'aime la mienne, c'qui est sûr, c'est que j'aime la vie. Parce qu'avec un cafard pareil, j'me serais bien flingué ici". "Ma grande nouvelle aura changé/C'est la mort qui est annoncée/Mais l'hiver, c'est fait pour résister/Alors, mes jambes le moteur, ma tripe l'ardeur/Mon coeur la blessure, ma tête la rage/Se réveillent tous d'un coup/Et lancent un sprint de fou/Rien ne m'arrêtera/Je serai premier devant la mort/Et bras d'honneur à l'arrivée."

Autre élan vital, propre à l'espèce humaine, l'instinct de procréation, le désir de descendance. Et peu importe le fait que "La vie c'est pas du gâteau/Et qu'on fera pas d'vieux os/Qu'on fera pas de marmots/Pour leur gueuler tout haut/Qu'la vie c'est pas du gâteau" : "Même si j'gagne pas ma vie/Et même si j'ai le sida/Moi ça me coupe pas l'envie/ Moi j'me dis, ouais, pourquoi pas ?/J'voudrais mordre à pleines dents/Dans les joues roses d'un enfant/J'lui dirais salut mon p'tit gars/Lui m'dirait salut, pôpa (...) Mais moi tu vois, avant de crever/J'voudrais laisser couler/D'la morve d'un p'tit nez/Un p'tit sourire, un p'tit bout d'éternité/Tu m'dis qu'tout ça c'est des fantasmes/Et j'ai du mal à te contredire/Mais j'voudrais quand même laisser une trace/Avant de partir, avant de mourir". Sur la toile de fond sombre du sort funeste qui attend chacun, un infini de possibles naît du Verbe et de la voix, au futur, au potentiel ou à l'irréel (J'aurais voulu). Un instant d'amour suffit à faire exister l'existence même au plus profond du néant : "Un instant/Rien qu'un instant/Un crachat dans le néant (...) Il n'est même plus question d'oubli/Serre-moi (...) A mille bornes de l'espoir, mais comblé pour un soir"(Julie)...

Et puis, la musique, évidemment, personnifiée : "Dans la musique qui m'emporte/Et qui m'prend dans ses bras/La musique, qui m'réchauffe la tripe/Et qui pleure avec moi" (Quand tu me diras).

En germes, déjà dans ces premières réalisations, la portée sociale, politique, engagée qui dépasse la simple condition existentielle et l'obsession de l'enveloppe corporelle, du gavrochard Je marche seul ("Avec plus personne à qui faire la gueule") au bourlinguant Chacun sa peine (pas loin de tomber à la flotte à s'exténuer sur le bord des quais). Une dimension qui s'exprime également dans le génialissime slow sarcastique, sur un air de ballade rock old school, Au creux de ton bras, dénonciation de la drogue qui se reflète, un album plus loin, dans Le Limon. Ou encore le jazzy et contrebandier Y a maldonne : "Là-bas dans la rue, y a des obus qui font leur marché/Un enfant par ci/Un combattant par-là/Un enfant, un combattant (...) Un sniper à sa fenêtre... Un enculé !"

Et, sur l'album Je sais pas trop : "Allons-nous laisser longtemps les urnes se remplir de peste brune", "De quelle charrue renaîtra la terre" (Que reste-t-il à vivre ?).

Souvent partagé entre Paris (du scat indomptable d'Allo Paris et son refrain cuivré au Paris interdit de la rue Saint-Denis, en passant par celui de Paris Boulevards, celui de Barbès-Clichy, celui du Pigalle de Soir de retour, celui de Ménilmontant et de la rouquine aux sourcils noirs dans Soif de la vie) et un univers littoral, Mano Solo avait choisi, fin 2009, de rentrer au port, titre de son dernier album. Au lieu de poser les amarres, il les a larguées à jamais.

En 1999, il s'était créé, au théâtre du Tourtour où il avait ses habitudes, un hymne, qu'il reprenait systématiquement avec son public : le Shalala...

Coïncidence ou pas, ses voyages musicaux deviennent alors moins macabres, s'éclairent de nouvelles lueurs, adoptent de nouvelles couleurs. "Petit à petit, mon appétit grandit de découvrir la vie", chante-t-il sur Dehors (2000), presque son hakuna matata personnel sur un album riche de sonorités africaines et de rythmiques ragga, qui s'achève en outre sur une chanson au titre éloquent : Soif de la vie.

En 2004, sur Animals, album lui aussi animé d'une énergie et d'une lumière nouvelles, il réclame "que chaque pas devienne un acte" car "les rêves ont la peau dure" (L'aventure). Et de revendiquer le pouvoir de vie du Verbe, dans Je n'y peux rien : "C'est une chance que de vivre de mots/Une éternelle enfance à naviguer dans le beau/Ondulant dans l'ondée musicale/C'est une aubade dans laquelle je me trimballe/Je n'y peux rien, j'aime tant la vie que chaque jour elle recommence/Je n'ai cherché qu'une voie pour adoucir les violences/Je n'ai chanté que des vérités d'amour/Je n'ai menti que pour tracer des routes de velours".

En 2009, Mano Solo, hospitalisé au mois de novembre après son dernier concert à Paris et décédé quelques semaines après suite à plusieurs anévrismes du rachis cervical, n'était pas fatigué de sa lutte, pas rassasié de vie ni de combat ("Ce qui compte c'est pas l'issue mais c'est le combat, c'est le combat" - Le Monde entier) : "A cheval sur un rêve dans la nuit qui s'achève/Je prends quelques instants de repos, guerrier, je repars au galop", lâchait-il positivement dans la contine hargneuse J'avance, sur Rentrer au port.

Et dans Des années entières : "la vie reste un cadeau". "D'une vie entière inutile/Il n'y aura eu que l'amour qui prime/Ou ptet bien mes p'tites chansons de merde/Pour qu'on y croie encore"...

Sa déchirure, à laquelle tout le monde ne saurait être sensible, et qui contient pourtant son lot d'universalité, son vibrato souffreteux, tout cela s'est tu. Finis, "les rêves pleins d'entrain/Qui finissaient pas au cimetière Pantin". "Le monde entier n'a pas chialé/Le monde entier n'est pas là pour ça/Le monde entier ne t'en a pas voulu autant que moi" : tous ceux qui aimèrent Mano Solo peuvent s'approprier sa parole vivace et poignante, au coeur des choses.

Désormais, Trop de silence, beaucoup trop : plus de main dans les cheveux pour lui caresser le rêve, plus de souffle chaud dans son cou... Il avait prévu sa sortie : "Mais les habits de lumière ne tireront jamais leur gloire/A me faire toucher terre/Finie la fanfare, on coupe les phares, je reste dans le noir".

En guise d'oraison, et même si elle n'est pas tout à fait aussi lumineuse que l'homme, cette chanson poignante de son cru, Dis-moi :


"Dis-moi que je crèverai seul comme un chien en haut d'une montagne qui plonge dans la mer, en plein vent. La narine frémissante et tous les sens en éveil pour le dernier show, le dernier show de la vie. Dis-moi qu'un oiseau viendra me rassurer de son indifférence ; tout va bien, me dira-t-il, il est juste grand temps de pourrir. Dis-moi que les feuilles viendront roussir et qu'avec elles le vent m'emportera sans qu'aucun boulet de la vie, pour une fois, ne puisse me retenir.

Alors il ne sera rien que je regrette, sauf peut-être cette vie entière que nous n'avons pas vécue, cette promesse non tenue.

Mais qu'importe, que le vent m'emporte, nourrir les vers et les cloportes, ce sera bien là de toute une vie le seul contrat bien rempli.

Je n'ai jamais vendu mon âme mais c'est mille fois que je l'ai offerte, en pure perte, en pur drame, en pâture aux femmes.

Mais de tout ce vin ne reste que le tanin vinaigre de plaies par trop ouvertes, au fond d'un Graal, puits sans fin où se dilue l'hier sans lendemain. Dis-moi que ça ne fait rien, ce sera juste la preuve que ce n'était que ça qu'être humain. C'est peut-être ça qui est bien, c'est peut-être ça qui est bien".

Guillaume Joffroy

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