A 5,65m au premier essai, c'est juste la satisfaction d'un envol de bon augure. A 5,75m, c'est la joie rentrée d'un garçon en confiance qui a le concours à sa main. A 5,85m, c'est la joie extériorisée, visiblement difficile à contenir, d'un champion qui flaire la victoire. "Waouh." A 5,97m, c'est le record olympique, c'est le toit du monde, c'est la pression qui s'évacue en euphorie, c'est l'extase et la consécration. A 6,02m puis 6,07m en solo, c'est... trop haut, mais c'est quand même trop beau.
"Là-haut" (comme le titre joliment L'Equipe ce samedi), à 5m97, même barre que lors de son dernier titre de champion d'Europe un mois plus tôt (le 1er juillet à Helsinki), Renaud Lavillenie est allé décrocher la Lune pour l'athlétisme français : sacré champion olympique de saut à la perche vendredi 10 août 2012 au prix d'un concours aux allures de thriller, il lui a rapporté des cîmes de l'olympe sa première médaille d'or depuis 16 ans. L'histoire est d'autant plus belle que la dernière en date était l'offrande de Jean Galfione, champion olympique du... saut à la perche en 1996 à Atlanta et ivre de bonheur hier soir en voyant son protégé et héritier triompher sous les cieux londoniens. Avec une différence d'ambiance : si Galfione avait atteint le sommet de son art de l'autre côté de l'Atlantique, décalage horaire inclus, Renaud Lavillenie avait autour de lui une importante colonie française passée sur ou sous la Manche pour l'encourager et l'acclamer. D'ailleurs, au micro de Nelson Monfort, tard dans la soirée et une fois le stade olympique déserté, le champion de 25 ans, enfin libéré, enfin comblé, se lâche, laisse parler l'émotion, mais n'oublie surtout pas de remercier, avec chaleur et insistance, tous ceux qui ont apporté de près ou de loin leur soutien, encore plus après sa débâcle des Mondiaux de Daegu en 2011.
Meilleure récompense qu'il pouvait offrir à tous ceux qui l'ont poussé vers les hauteurs, Renaud Lavillenie a offert aux JO de Londres une performance magistrale, qui rend sa médaille d'or encore plus brillante. Le concours aurait pu être tué dès 5,85m, lorsqu'il franchissait cette première barre des choses sérieuses à son premier essai et s'installait en solide leader du concours : "Si j'avais pu gagner à 5,85m, je ne m'en serai pas privé. Mais, aux Jeux, ça n'est jamais gagné d'avance. Encore heureux même", analyse-t-il. C'était sans compter l'état de grâce de son meilleur rival, l'Allemand Björn Otto, son dauphin des Mondiaux en salle en mars et du championnat d'Europe en extérieur en juillet, quisortira contre toute attente un bond à 5,91m au premier essai, mais aussi d'un autre Allemand, le jeune Raphael Holzdeppe, qui avait choisir ce soir-là pour exploser de 9 centimètres son record personnel et se payer avec la mêem barre, également sautée d'un coup, une finale à trois. "A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire" : avec des adversaires à la hauteur, le Français, d'un sang-froid exceptionnel, a mérité son triomphe, et non seulement son titre olympique. Condamné à l'exploit, Renaud Lavillenie fait alors l'impasse, en échec à son premier essai, sur cette même barre à 5,91m, qui ne l'extirperait de toute manière pas de sa place en bronze en cas de franchissement. Restent deux essais à 5,97m... Puis un seul, à quitte ou double... Et le voilà qui efface la barre et l'ancien record olympique d'un coup.
Concentré, appliqué, sérieux, le principal intéressé savourait après coup tous les ingrédients de ce succès magistral : "Il y a tellement de choses : l'or olympique, la performance, la manière." Avant d'exploser de joie totalement, il est resté dans son concours, seul face aux poteaux pour s'envoler encore un peu plus dans l'histoire de l'athlétisme, tentant 6,02m et 6,07m : "J'ai tenté 6,02m parce que Bjorn Otto allait sauter [un saut qu'il a regardé en direct !], et 6,07m parce que je voulais être le second dans l'histoire du saut à la perche. J'ai toujours été comme ça. C'est ma nature. Je ne me satisfais pas de quelque chose, quand je sais que je peux aller encore plus haut."
Le concours officiellement achevé, il peut se laisser aller à sa joie, se noyer dans le clan français en transe, tomber dans les bras de son devancier, Jean Galfione : "Je lui au déjà succédé en devenant champion du monde en salle il y a sept mois. Nous partageons beaucoup de choses tous les deux. Nous sommes les deux seuls français à avoir dépassé les six mètres, à avoir été champion olympique. C'est un grand homme. C'est un plaisir de l'avoir rejoint." L'ancien champion olympique d'Atlanta en avait autant à son égard : "C'était fabuleux, il a été exceptionnel. Il a fait un concours de rêve, et nous on a vécu un concours de rêve. Il a été bon techniquement, il a été bon tactiquement, il a su réagir, c'est la marque des grands", a déclaré Jean Galfione.
Renaud Lavillenie savourera aujourd'hui le goût de l'or, avec la cérémonie de remise des médailles. Et prendra rendez-vous avec l'histoire de la perche pour tenter de décrocher l'an prochain le titre de champion du monde en extérieur, seule consécration qui, à 25 ans, lui manque encore.