"Et comme réverbère quotidien, je m'offrirai Mme Thatcher." Reconnaissable entre tous, le vers subversif joliment pissé par le poète jadis prolo et farouchement contestataire Renaud (Miss Maggie) nous rappelle, à l'heure des oraisons funèbres bien policées à Margaret Thatcher, décédée ce 8 avril 2013 à 87 ans, combien la Dame de Fer fut couverte d'autre chose que de l'ambroisie avec laquelle les dirigeants politiques qui lui survivent l'embaument aujourd'hui.
Liberté d'expression et de création oblige, les chanteurs n'ont pas été tendres avec celle qui, notoirement, ne fut pas tendre. Loin du concert, sinon de louanges, du moins d'hommages et de condoléances attristées (jusqu'à la reine Elizabeth II), les délicieux petits surnoms du temps d'avant, comme "sorcière", les représentations de naguère (sa marionnette dans Land of Confusion de Genesis, en 1986) et les déclarations de haine éteintes avec le temps se rappellent à notre souvenir.
Certains avaient dansé ou craché sur sa tombe bien avant l'heure, à l'image du monstre sacré irlandais Elvis Costello et Tramp the Dirt Down ("Je monterai sur ta tombe et j'y traînerai ma boue") ou Shipbuilding avec Robert Wyatt, centré sur le conflit aux Malouines. Emblématique de la libération de la parole politique de l'âge d'or punk, et réaction à l'arrivée au pouvoir, au poste de Premier ministre, de Margaret Thatcher, London Calling (1979) de The Clash se pose et s'impose comme un jalon fondateur dans l'anti-thatchérisme musical, suivi par Sham 69, Chelsea, Stiff Little Fingers ou encore Angelic Upstarts, avec l'album Two Million Voices. Parmi les pionniers figurent également Roger Waters et Pink Floyd, auteurs de plus d'une attaque virulente (Pigs, The Fletcher Memorial Home).
En 1980, "Maggie" (un diminutif d'autant plus aisé à manipuler en chanson qu'il est courant) se fait carrément assassiner par Iron Maiden sur la pochette du single Sanctuary. Une punition qui atteste au moins d'une chose : Thatcher est une figure facile à diaboliser.
En 1981, alors que le gouvernement est plus impopulaire que jamais et que le royaume plonge dans la crise, entre chômage et débandade morale, alors que la protest song politique est en plein essor, incarnée notamment par Billy Bragg (Waiting For The Great Leap Forwards, Between the Wars), The Specials sort Ghost Town, un morceau ultrapolitisé et un état des lieux triste à se pendre qui fait un carton. "Can't go on no more, the people getting angry" ("On n'en peut plus, tout le monde est en colère"), chantent les gars de Coventry dans ce single tempétueux qui s'en prend avant tout aux difficultés sociales générées par la politique thatchérienne qu'à la femme derrière elle. Au final, ça revient un peu au même, anyway. Town Called Malice, de Paul Weller et The Jam, n°1 au top singles en 1982, est tout aussi révélatrice et emblématique de cette période du début des années 1980 : "C'est suffisant pour vous faire cesser d'y croire quand les larmes déferlent dans une ville qu'on appelle Malice", entend-on tandis que Crass balance à la face de Maggie "Ça fait quoi d'être la mère d'un millier de morts" ("How Does It Feel to Be the Mother of a Thousand Dead") Thatcher n'était arrivée à Downing Street que depuis trois ans à peine.
Car, indeed, les détracteurs n'ont pas tous attendu, loin s'en faut, qu'elle quitte ses fonctions de Premier ministre : le groupe ska The Beat appelait ouvertement à sa démission avec "Stand Down Margaret", tandis que la formation punk Notsensibles prenait le parti de l'ironie et du contre-pied avec la déclaration d'amour en trompe-l'oeil I'm in Love With Margaret Thatcher, un hit unique qui a voyagé jusqu'à la bande originale de La Dame de Fer, film porté en 2011 par Meryl Streep. Mais ils ont fait des émules...
Adolescents durant la Guerre des Malouines ou la grève des mineurs et la crise syndicale des années 1980, les membres de l'éphémère groupe londonien Hefner, en 2000, se projetaient déjà au jour de la mort de l'ex-Premier ministre, affirmant "On dansera et on chantera toute la nuit" dans la chanson The Day That Thatcher Dies. A un mot près – le prénom de la victime –, le vétéran Pete Wylie, leader de Wah! né dans les années 1950, y allait de la même rengaine assassine en 2010 avec The Day That Margaret Thatcher Dies, et prédisait : "Elle est partie !, et personne ne la pleure." 2010, soit plus de vingt ans après la langue tranchante du diabolique Morrissey, qui se faisait en 1988 un plaisir de conduire la Dame de Fer à l'échafaud dans Margaret on the Guillotine, soit "Margaret sous la guillotine", le "merveilleux rêve des gens biens", disait la chanson du rebelle de The Smiths, extraite de son bien-nommé premier album solo, Viva Hate : "Les gens comme toi me fatiguent/Quand vas-tu donc mourir ?"