Fini, pour Martin Fourcade, la vie de famille sacrifiée à raison de mois entiers, les entraînements intensifs pour rester au sommet de son art, l'adrénaline de la compétition et des mano a mano d'anthologie (contre Ole Einar Bjørndalen, Emil Svendsen, Johannes Bø) ou encore les gros délires en interview post-course, comme sa tirade d'Otis le Scribe il y a quelques semaines : à 31 ans, le quintuple champion olympique et multiple champion du monde (treize championnats, sept fois vainqueur du classement de la Coupe du monde) dit stop et prendra sa retraite sportive à l'issue d'une ultime épreuve, ce samedi 14 mars 2020 à Kontiolahti (Finlande), dernière occasion de marquer encore un peu plus la légende du biathlon. "Je pars serein", assure-t-il en lettres majuscules à la une du quotidien L'Equipe de ce même jour, auquel il a confié les détails de sa décision.
Il est temps de vous dire au revoir
Avant de découvrir ses déclarations dans le grand quotidien sportif, les suiveurs du champion français ont eu la primeur de l'information via ses réseaux sociaux. Sur sa page Facebook, Martin Fourcade, "ému mais apaisé", a en effet rendu publique son importante décision, de celles "qui changent une vie" comme il l'observe d'emblée, dans un long message de toute évidence longuement mûri publié dans la soirée du vendredi 13 mars. Remontant aux origines de sa fabuleuse épopées sur les skis, entamée "il y a 30 ans dans [ses] Pyrénées natales" dans le sillage de son frère Simon, soulignant son "goût de la compétition" précoce, le héros du biathlon français remonte sa propre trace : "De Vancouver à Oslo, face à Ole Einar Björndalen, Emil Svendsen, Anton Shipulin, Simon Schempp, Johannes Boe et tous mes autres adversaires - trop nombreux pour tous les citer -, j'ai réalisé mes rêves et vécu les plus belles émotions. J'ai combattu et j'ai gagné. J'ai souffert, aussi. Je suis tombé et je me suis relevé. Surtout, j'ai grandi." A tout moment, dans cette prise de parole, le public est présent, d'audiences télé en croissance exponentielle pour un sport à la base confidentiel en grandes émotions partagées. Ses copains de l'équipe de France actuelle, qui depuis quelques semaines fait rêver ses fans en trustant les premières places en masse, ne sont pas oubliés, eux qui l'ont accompagné dans son dernier défi après son triple sacre des JO de 2018. "Rebondir pour en arriver là, à ces moments de bonheurs partagés, fut le plus grand défi de ma carrière. Je crois que cette dernière mission a été accomplie, quelle que soit l'issue de cette saison", pose-t-il en conclusion.
Discret mais pas secret, Martin Fourcade n'a jamais caché, lors de ses rencontres avec la presse, que ses ambitions de compétiteur avaient un prix, tribut payé par sa vie de papa de deux filles (Inès et Manon) et grâce au soutien dévoué de son épouse. "Ma volonté de donner le meilleur de moi-même et de gravir des montagnes est toujours présente mais la suite de ma construction en tant qu'homme, en tant que père, doit désormais passer par d'autres voies, d'autres supports d'expression (...) Je voudrais remercier ma famille et en particulier ma femme et mes filles pour leurs sacrifices et leur amour inconditionnel. Merci à mes parents d'avoir accepté mes choix, à mes frères de m'avoir poussé, chacun à leur manière, à devenir meilleur", souhaite-t-il notamment faire valoir. Et de promettre que son amour pour le sport et les valeurs de dépassement de soi demeurent intactes : "C'est dans cet univers que je veux continuer à m'exprimer, à m'investir, à partager", indique-t-il à propos du nouveau voyage qu'il va entreprendre, "animé par l'élan de tout ce qu'il reste à construire".
Dans le journal L'Equipe du 14 mars 2020, à quelques heures seulement de son départ pour une ultime poursuite qui pourrait lui permettre de décrocher un dernier globe de cristal, Martin Fourcade révèle qu'il avait commencé à songer à la retraite après les Jeux triomphaux de Pyeongchang en 2018, s'imaginant déjà alors arrêter après les Mondiaux d'Antholz, où il a obtenu en février son quatrième et dernier titre de champion du monde de l'individuel. "La réflexion a mûri pendant deux ans. Jusqu'au moment où tu choisis de te dire que tu arrêtes ta carrière, la décision n'est pas prise", explique-t-il. Et de se faire plus précis : "J'ai pris cette décision le jour du relais à Antholz [où il a également glané l'or en équipe, une première pour le relais tricolore en 19 ans, NDLR]. Quand les larmes me montent en répondant à la chaîne L'Equipe. J'ai compris que c'était le signal (...). J'en ai parlé avec Delphine Verheyden [son avocate] et avec Hélène. (...) Même si on est sûr que c'est la bonne décision, ce n'est pas une décision simple."
Pour un compétiteur tel que lui, revenu à son meilleur niveau après une période de doute, l'horizon des Jeux olympiques d'hiver 2022, organisés par Pékin, était évidemment "dans la balance". "Je sens que suis capable d'être encore meilleur que cette année parce que je pense que je n'ai pas totalement récupéré de la saison passée, estime-t-il. Forcément je me sens capable d'aller à Pékin pour y performer et glaner de nouveaux titres. Je sens cet amour de la compétition, pour le biathlon, pour le sport. Mais je sens juste que j'ai besoin d'exprimer cet amour différemment."
Avant tout, mes filles
Avec L'Equipe, le champion au crépuscule de sa carrière sportive passe en revue certains de ses souvenirs les plus forts (son premier titre olympique, en 2014 à Sotchi) et les figures les plus marquantes (son frère Simon, le seul à l'avoir suivi "du début à la fin", et Emil Svendsen, l'adversaire auquel il a livré "les plus beaux combats"), évoque l'avenir radieux d'une équipe de France qui n'a "plus besoin de [lui]", qui a cherché à "créer une histoire collective au milieu d'une carrière individuelle", pour accomplir de grandes choses.
Déjà fortement tourné vers les JO 2024 à Paris, notamment en tant que président de la commission des athlètes, Martin Fourcade en revient enfin à la famille, sa famille, celle qu'il a pendant dix ans beaucoup moins vue que sa famille sportive : "Une chose me pousse à arrêter : c'est l'envie de pouvoir vivre sans cette pression qui m'a fusillé parfois (...) Cette attente est très lourde à porter parfois. Ça concerne tous les secteurs de ma vie, mais avant tout avec mes filles."
Fini de sprinter, mais la grande histoire de Martin Fourcade ne s'arrête pas là...
La retraite de Martin Fourcade, dossier et interview à retrouver dans L'Equipe du samedi 14 mars 2020.
GJ