Pionnier, dans les années 1960, puis bienfaiteur et protecteur, dans les années 1970, du free jazz auquel il fournit avec son épouse un repaire avant-gardiste new-yorkais devenu légendaire, le Studio Rivbea, Sam Rivers a quitté la scène. L'un des sax' les plus influents du free jazz s'est tu. L'éminent jazzman est mort lundi 26 décembre 2011 à Orlando, en Floride, des suites d'une pneumonie, à l'âge de 88 ans.
"Dites-leur ce qu'ils ont manqué", lit-on, sagace épitaphe, sur la page d'accueil de son site Internet officiel rivbea.com, où est annoncé un jubilé en son hommage le 1er janvier 2012. Sam Rivers rejoint sa chère épouse Bea, morte en 2005, et laisse quatre enfants (Monique, Cindy, Traci et Samuel), cinq petits-enfants et neuf arrière-petits-enfants.
Né dans l'Oklahoma le 25 septembre 1923 au sein d'une famille de musiciens (son père évolua dans le milieu du gospel), Samuel Carthorne Rivers avait commencé à se signaler sur la scène jazz au début des années 1950, après avoir étudié au Conservatoire de Boston avec Alan Hovhaness, surfant sur l'essor du be-bop. Après avoir joué en 1959 au côté d'un tout jeune (13 ans et déjà révéré !) Tony Williams, puis avoir fait un passage éphémère en 1964 dans le Miles Davis Quintet - justement par l'entremise de Tony Williams - pour l'album Miles in Tokyo, rapidement remplacé par Wayne Shorter, en raison de son jeu trop libre pour alors convenir à celui du maître, il est signé sur le fameux label Blue Note, sous l'égide duquel il enregistre quatre albums en tant que tête d'affiche (Herbie Hancock, Freddie Hubbard, ou encore Jaki Byard, pour Fuchsia Swing Song, seront occasionnellement à ses côtés), et d'autres en temps que "sideman" d'artistes comme son ami Tony Williams, Andrew Hill ou Larry Young. L'album Fuchsia Swing Song reste dans l'histoire du jazz comme une oeuvre référence, qui posa les jalons du free jazz en partant de la structure harmonique du bebop. La ballade Beatrice est devenue un classique notamment pour les joueurs de saxophone ténor.
Multi-instrumentiste (sax ténor et soprano, clarinette, flûte, harmonica, piano, violon, trombone...) et compositeur, Sam Rivers ne se contenta pas de marquer les esprits et les annales en tant que jazzman ultra-créatif : il le fit aussi en offrant au courant un de ses hauts lieux. Dans les années 1970, Sam et sa femme Bea (décédée en 2005) offrent une scène ouverte à New York : le Studio Rivbea, un loft situé dans NoHo, sur Bond Street, ouvert initialement en 1970 dans le cadre du premier New York Musicians Festival. Un véritable creuset pour le jazz, affranchi de toute contrainte et où s'exprime une vraie liberté artistique, qui fera écrire au critique John Litweiler : "A New York, un loft jazz était synonyme de free jazz, dans les années 1970 (...) [et le studio Rivbea était] le plus fameux des lofts." De cette période bénie pour le jazz resteront quelques enregistrements, édités sous le titre Wildflowers, chez Douglas.
Sam Rivers continue à enregistrer pour plusieurs maisons de disques, et apparaît notamment en 1972 sur Conference of the birds de Dave Holland, bassiste qu'il retrouvera en 1976 pour le double album Sam Rivers/Dave Holland, chargé de solos épiques.
Dans les années 1980, Sam Rivers joue dans le groupe United Nations de Dizzy Gillespie, et s'installe à Orlando, en Floride. Pas pour se la couler douce durant ses vieux jours, puisque "le mot retraite ne faisait pas partie de son vocabulaire", selon sa fille Monique, mais pour y fonder notamment son propre big band, le Rivbea Orchestra, avec lequel il publiait entre autres en 2006 Aurora, Trilogy, son ultime enregistrement, et donnait sa dernière représentation en octobre dernier. Puis vinrent le crépuscule et la nuit.