En moins de dix films, Jim Sheridan est passé du statut de cinéaste européen admiré à celui d'artisan hollywoodien maudit. L'histoire s'est d'ailleurs passée sur le tournage de Dream house, un film d'horreur ridiculisé par les critiques avec Daniel Craig et Naomi Watts. La nouvelle vient d'être lâchée sur internet : Jim Sheridan a essayé de remplacer son nom au générique par "Alan Smithee", peudonyme officiel des réalisateurs qui renient un film.
Très porté sur l'improvisation, le cinéaste irlandais de My left foot et Au nom du Père a déboussolé le studio, qui a demandé à ce que de nouvelles scènes soient tournées. Ne suivant pas le scénario, il a provoqué la colère des producteurs qui ont refusé sa version. Mécontent du résultat, Jim Sheridan (nommé six fois aux Oscars) a refusé d'assurer la promotion du film, tout comme Rachel Weisz et Daniel Craig, qui auront néanmoins eu la chance de tomber amoureux sur le tournage.
Une triste histoire qui n'a rien d'extraordinaire à Hollywood, où les réalisateurs ne possèdent qu'exceptionnellement le director's cut, le contrôle définitif sur le montage final, Certains grands noms le détiennent comme Martin Scorsese ou James Cameron. Cette semaine, c'est par exemple le jeune réalisateur de Pete Travis qui a été renvoyé du montage de Dredd, remake attendu du film avec Sylvester Stallone.
Connu pour sa franchise, le Français Mathieu Kassovitz a réalisé Babylon A.D. avec Vin Diesel et un gros budget. Lorsque le film est sorti, il le qualifiait de "mauvais épisode de 24 heures chronos." Cette adaptation du livre Babylon Babies de Maurice G. Dantec, dont il rêvait depuis des années, s'est révélée être un cauchemar. "Je n'ai jamais pu tourner une seule scène comme elle était écrite ou comme je la voulais. Mauvais producteurs, mauvais partenaires, une expérience terrible. J'aime certaines scènes, mais j'avais quelque chose de bien meilleur entre mes mains."
Révélé avec La Chute, qui suivait les derniers jours d'Hitler, l'allemand Oliver Hirschbiegel s'est retrouvé à la tête d'Invasion, nouveau remake du classique de science-fiction L'invasion des Profanateurs de sépultures, avec Nicole Kidman et Daniel Craig, décidément malheureux dans ses choix. Parce que le studio n'était pas satisfait du film, les frères Wachowski (Matrix) et James McTeigue (V pour Vendetta) furent engagés pour réécrire et retourner la moitié du film. Olivier Hirschbiegel n'a jamais commenté l'expérience, mais le film a été un échec critique et public.
Réalisateur phare du cinéma d'action, John McTiernan (Piège de cristal) a été violemment secoué par la catastrophe du Treizième guerrier, avec Antonio Banderas. Adapté d'un roman de Michael Crichton (Jurassic Park) qui a repris les rennes du projet en cours de route, le film a quasi-doublé son budget et a été raccourci à outrance. Sorti plusieurs années après, Le treizième guerrier a été un échec commercial cinglant.
Pour beaucoup, révéler ces différents revient à mener un combat perdu d'avance contre le géant hollywoodien. Pour espérer trouver du travail, mieux vaut ne pas faire de vagues. Ainsi, depuis qu'il a ouvertement clamé avoir été en conflit avec Edward Norton et le studio pour American History X, le réalisateur Tony Kaye a presque disparu de la circulation. Les exemples ne manquent malheureusement pas pour illustrer la difficulté de conserver son intégrité artistique dans le système hollywoodien lorsqu'on est "simple" réalisateur.
L'exemple de David Fincher est plus étonnant. Il a renié Alien 3, qu'il n'a pas réalisé comme il le souhaitait. C'était son tout premier film à seulement 30 ans, et depuis, il est devenu un cinéaste incontournable avec Seven, Fight Club et The Social Network. Comme quoi, le silence n'est pas toujours d'or.
Geoffrey Crété