Deux jours après les attentats contre le journal satirique Charlie Hebdo dans le 11e arrondissement de Paris, faisant 12 morts et 4 blessés graves, la traque des terroristes s'est terminée dans le sang. 48h après le massacre, le cauchemar auquel la France fait face se solde par la mort des trois terroristes à la fin de la journée du 9 janvier, entre deux prises d'otages.
Dans la matinée, à Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne), les deux frères Kouachi, Saïd et Chérif, sont cernés, bloqués dans une petite imprimerie. On ne sait pas encore s'ils ont des otages, mais le dispositif policier, avec le GIGN aux commandes, est sans précédent. À 13h, Porte de Vincennes, un homme (qui s'avère être le troisième complice des frères, Amedy Coulibaly) attaque un hypermarché casher très fréquenté, prend en otages 17 personnes. Le quartier est bouclé par les forces de police. À Dammartin, après plusieurs heures d'un calme plat, l'assaut est donné à 16h57 lorsque les frères Kouachi sortent armes à la main pour en finir. Ils sont abattus. Dans le même temps à Vincennes, les forces de police profitent de la prière d'Amedy Coulibaly pour prendre d'assaut l'épicerie casher. Le bilan est lourd : 5 morts – dont le terroriste qui s'est jeté sur les forces du RAID arme à la main – et 7 blessés dont 4 graves. Selon le ministre de l'Intérieur, les gendarmes et les policiers ne pouvaient pas faire "autrement" que de tuer les trois auteurs des attentats.
Pour François Hollande, qui n'a pas relâché la pression depuis mercredi midi et a montré beaucoup de force et de conviction à l'instar de ses ministres, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve, "ce dénouement ne marque pas (...) la fin de la guerre engagée contre notre pays par des fanatiques".
Dans une vidéo diffusée vendredi soir, un responsable religieux d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa), dont se sont réclamés les assassins de Charlie Hebdo, a d'ailleurs menacé la France de nouvelles attaques, sans toutefois revendiquer celles des trois derniers jours. La compagne du preneur d'otage de l'épicerie casher, Hayat Boumediene, est quant à elle "toujours activement recherchée" dans l'enquête sur la fusillade de jeudi matin à Montrouge (Hauts-de-Seine), oeuvre d'Amedy Coulibaly qui a abattu lâchement une jeune policière stagiaire et un employé municipal.
Les premières interrogations
Ébranlée par ces événements historiques, la France mettra du temps à se relever, mais doit déjà penser à l'après. Salué "le courage, la bravoure, l'efficacité" des forces de l'ordre, François Hollande a dénoncé la prise d'otages dans l'épicerie casher, menée par Amedy Coulibaly, comme "un acte antisémite effroyable". "Quand il y a 17 morts, c'est qu'il y a eu des failles", a déclaré Manuel Valls. À Libération, où Charlie Hebdo a été accueilli, ce fameux "après" se prépare "comme si rien n'avait changé" rappelle Laurent Joffrin, directeur de la publication à Libé. "Ce n'est pas la connerie qui va gagner", a promis le chroniqueur et médecin Patrick Pelloux.
Alors que l'enquête débute à peine, des premiers éléments amènent consécutivement des premières questions. On sait par exemple que Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly se connaissaient très bien et que leurs compagnes respectives ont beaucoup échangé par téléphone en 2014. Les deux hommes avaient été impliqués en 2010 dans l'enquête sur une tentative d'évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem, ancien du Groupe islamique armé algérien (GIA), condamné pour un attentat dans le RER à Paris en 1995. Kouachi avait bénéficié d'un non-lieu. Coulibaly avait été condamné à cinq ans de prison en décembre 2013, peine qu'il a achevé de purger en mai compte tenu des remises de peine. Tous deux étaient inscrits "depuis des années" sur la liste noire américaine du terrorisme.
Chérif Kouachi était bien connu des services français : surnommé Abou Issen, il avait fait partie de la "filière des Buttes-Chaumont" pour envoyer des jihadistes en Irak, où lui-même entendait se rendre en 2005 avant d'être interpellé. Il avait été condamné pour ces faits en 2008 à trois ans de prison, dont 18 mois avec sursis. Selon plusieurs sources françaises et américaine, Saïd Kouachi s'était rendu au Yémen en 2011 pour s'entraîner avec Al-Qaïda au maniement des armes.
Joint par BFMTV pendant la traque de Dammartin, Chérif Kouachi avait déclaré : "On n'est pas des tueurs. On ne tue pas de civils." Dans le même temps, lui aussi contacté par téléphone alors qu'il tenait l'épicerie casher, Amedy Coulibaly dit s'être "synchronisé" avec les Kouachi pour les attaques. Une bande sonore, enregistrée par RTL, dévoile par ailleurs les propos tenus par Coulibaly à ses otages.
Soulagé et traumatisé
L'heure est désormais au deuil après trois jours de sang et d'angoisse causés par ces trois jihadistes. C'est une France soulagée mais traumatisée et traversée par de nombreuses interrogations sur sa sécurité qui s'apprête à manifester, dimanche, à République (Paris), en masse à la mémoire des victimes. Le défilé, qui s'annonce historique, sera sous très haute sécurité et se fera en présence du président Hollande et de dirigeants étrangers, en premier lieu européens (Merkel, Cameron, Renzi, Rajoy, Tusk).
À l'image de Paris, des démonstrations de force démocratiques vont avoir lieu, et ce dès samedi, puisque des manifestations sont prévues à Lyon, Marseille, Nice, Toulouse, Lille, Lyon, Nantes mais aussi à Just-le-Martel (Haute-Vienne) où se tient un salon international du dessin de presse et d'humour.
Le business "honteux" autour de Charlie
Consécutivement à l'attentat contre Charlie Hebdo, la toile a vu fleurir un commerce juteux autour du journaliste satirique. T-shirts, tasses, casquettes, badges... les produits à l'effigie du slogan "Je suis Charlie" se sont multiplies sur des sites ainsi que des plates-formes de ventes en ligne comme Ebay ou Amazon. Si ces dernières s'engagent à reverser les commissions perçues au magazine Charlie Hebdo, d'autres sites ont été dénoncés. La société Spreadshirt héberge notamment quelques sites affiliés, dont le jesuischarlie.net. "Nous avons contrôlé une à une chacune des e-boutiques de nos partenaires et chacun des designs (...) pour nous assurer qu'aucune commission ne soit prélevée sur la vente des produits 'Je suis Charlie'. Spreadshirt n'accepte aucune commission" sur ces ventes, écrit la plate-forme sur son blog. Autre cas, le créateur du site onatuecharlie.com qui vend lui deux T-shirts avec la mention "Je suis Charlie", et préfère verser 50% de son bénéfice à l'Association française des victimes du terrorisme. "Charlie Hebdo reste une société, ils ont besoin de soutien pas forcément financier, je préfère verser cet argent à une association", a confié à l'AFP Vincent, qui ne souhaite pas être identifié.
Le logo tristement célèbre, "Je suis Charlie", trois mots en blanc et gris sur fond noir, reprenant la même typographie que celle du nom du journal, avait été posté par Joachim Roncin, directeur artistique et journaliste musique au magazine gratuit Stylist, mercredi quelques minutes après l'attentat. "Ce que je voulais dire, c'est que c'est comme si on m'avait touché moi, je me sens personnellement visé, ça me tue, quoi", a-t-il expliqué à l'AFP. Ce professionnel de l'image et du graphisme a trouvé "logique de reprendre la typographie de Charlie, le logo". Le directeur artistique, qui est également le compagnon de l'actrice Anne Marivin (avec qui il a eu petit garçon en avril 2009) affirmait mercredi dans un tweet que "le message et l'image sont libres de toute utilisation, en revanche je regretterais toute utilisation mercantile".
Quant au hashtag #JeSuisCharlie, il est devenu l'un des populaires de l'histoire du réseau social Twitter avec 5 millions de tweets, derrière notamment celui de #Ferguson.