Fabrice Luchini est un homme qui sait manifester son enthousiasme. Il l'embrasse la vie les bras grands ouverts, au sens figuré donc, avec des phrases toujours plus éloquentes, mais aussi au sens propre. Lors du photocall du film Ma Loute de Bruno Dumont, en compétition pour la Palme d'or, l'acteur embrasse joyeusement ses partenaires, Juliette Binoche et Valeria Bruni-Tedeschi. Sa décontraction tranche avec son expérience lors du tournage de Ma Loute. Une expérience manifestement éprouvante pour le comédien récemment acclamé dans L'Hermine mais qui possède sa part de lumière.
Dans son livre autobiographique Comédie française, l'acteur populaire revient sur le tournage. Une expérience qui l'a marqué l'artiste car il s'est retrouvé fort décontenancé en travaillant avec le réalisateur Bruno Dumont (L'Humanité).
"Troisième jour de tournage du film de Bruno Dumont. Inconfortable, plutôt assez malheureux. Le metteur en scène d'abord. Froid. Distant. Incroyable d'être aussi peu dans le relationnel, pas dans le rapport à un point qui devient suspect. Je m'en fous. Il y a chez lui une haine de l'être et une passion de la composition. Toute mon énergie d'acteur va vers la recherche d'une note musicale ou d'une nuance. Toute sa recherche va vers la haine ou le naturalisme."
Fabrice Luchini a une longue carrière et pourtant, face à celle de Bruno Dumont, il semble à la fois désemparé et heureux de tenter une expérience qui ne ressemble à aucune autre : "Qu'est-ce qui m'a poussé à accepter ce rôle que je ne comprends pas ? Son intégrité, sa dimension poétique, sa particularité qui me donnent la sensation que je vais échapper à la compétition des entrées."
Lorsque le comédien voit les premières images de Ma Loute, ses interrogations, ses doutes et ses incompréhensions se dissipent : "Dumont a un génie du casting. Son histoire de grands bourgeois décadents confrontés aux disparitions et à l'anthropophagie des gens modestes. Une oeuvre irrésistible, loufoque, hallucinante et extrêmement drôle. (...) Je viens de voir les rushes. (...) C'est ahurissant, c'est puissamment poétique et irrésistible. Quant à mon rôle, je ne me reconnais même pas, je ne me retrouve même pas. J'aurais donc réussi une composition radicale ? Pas du tout. Je n'ai même pas à me féliciter de ce résultat. Le talent de la costumière, de Michèle, ma maquilleuse, et de Mathieu, le coiffeur, y est pour beaucoup. Mais c'est surtout Bruno Dumont le seul responsable de cette métamorphose, c'est lui qui a composé à travers moi. Mon seul mérite éventuellement : me laisser enfanter."
Interrogé par 20 Minutes, Fabrice Luchini a réagi à ses propos parfois durs, mais honnêtes : "Je n'ai écrit que la vérité. Je ne conseille pas aux acteurs qui ont besoin d'être encouragés, aimés et admirés d'aller bosser chez Dumont. Tourner avec lui, c'est la castration totale. Il vous fait frôler constamment le ridicule avec ce qu'il vous fait jouer et porter. Il ne faut pas voir peur de s'enlaidir pour travailler pour lui."
Toujours sur le site de 20 Minutes, Bruno Dumont ne regrette absolument pas son choix. "J'ai vu dans le bonhomme un humour un peu poivré que j'apprécie et qui correspond à mon univers. J'aimais bien quand Luchini se foutait de moi." Loin de le vexer, les doutes du comédien confortaient le cinéaste dans le bien-fondé de son choix. "Les doutes me plaisent, rien ne me paralyse davantage que quelqu'un qui veut travailler avec moi." À force de réticence et de résistance, les deux hommes sont parvenus à faire exister un personnage hilarant. "J'aime la franchise de Fabrice Luchini à mon égard. Je préfère cela à l'hypocrisie."
Ma Loute, en salles le 13 mai