A dix jours des Jeux Olympiques de Londres 2012, Gaël Monfils est porté disparu. Ou plutôt, était. L'Equipe l'a retrouvé, crâne rasé, pour un entretien en toute intimité, riche en confidences, touchantes ou étonnantes. Une interview-vérité alors que "La Monf" doit reprendre aujourd'hui une raquette pour la première fois depuis fin mai et sa défaite au premier tour de l'open de Nice.
Quart-de-finaliste en 2011 à Roland-Garros, classé septième mondial après Wimbledon (où il prit la porte dès le troisième tour contre Kubot, issu des qualifications), l'ex-numéro un français n'a disputé aucun de ces rendez-vous du Grand Chelem en 2012 et a rétrogradé au 17e rang de la hiérarchie mondiale. Et surtout, après un début de saison sur terre battue problématique, il est à l'arrêt, n'ayant pas joué depuis de longues semaines. N'ayant pas parlé depuis le 25 mai, non plus.
En fait, un long calvaire. Car si on a pu croire, après sa contre-performance de Wimbledon et l'arrêt de sa collaboration avec son entraîneur (Roger Rasheed), que la saison sur dur recelait de belles promesses (finale à Washington, quart de finale au Canada et à Cincinnati, à chaque fois défait par le numéro un mondial Novak Djokovic), la suite des événements s'avérera très aléatoire : contre-performance à l'US Open, forfait pour la Coupe David en raison d'une inflammation au genou droit, victoire à l'open de Stockholm, défaite au 2e tour à Paris-Bercy pour finir, le privant du masters final. Et 2012, loin de symboliser un nouveau départ, n'a fait que confirmer les incertitudes, physiques notamment, de "Sliderman" : finaliste à Doha en ayant battu Nadal mais seulement 3e tour à Melbourne, finaliste à Montpellier mais forfait à Indian Wells et étrillé en huitième à Madrid. Et enfin, deux défaites précoces à Rome (2e tour) et Nice (1er tour) avant de jeter l'éponge, toujours à cause de ce genou droit. En clair, depuis un an, Gaël Monfils aura manqué tous les grands rendez-vous du circuit. Pire : véritable guerrier réputé pour sa condition athlétique qui en fait l'un des défenseurs les plus impressionnants en activité, c'est au niveau du physique que le bât blesse. Inquiétant. Aujourd'hui, Monfils ne sait pas de quoi ses JO seront faits, et a bien dû mal à digérer sa situation, comme le révèle l'entretien qu'il a accordé dimanche 15 juillet au quotidien L'Equipe et publié dans son édition en date du 17 juillet 2012.
"C'était trop dur... Ouais, je déprimais."
Un entretien, dense, intense, plein d'émotion et d'énergie, tantôt mystique et tantôt terrien, qui sonne comme une révélation de Gaël à lui-même. Parallèlement à un documentaire de Mathieu Evain, La Monf Inside, qui raconte en 25mn les six dernières semaines du tennisman (à voir sur sa page Facebook).
"Je n'ai rien dit pendant deux mois parce que c'était trop dur de parler, explique-t-il avec sincérité quant à son long silence radio. Quand j'ai dû renoncer à Roland-Garros, tout s'est effrondé (...) Je l'ai très mal vécu. Se retirer d'autres tournois, c'est chiant. Mais Roland, c'est mille fois pire. C'est le pire ! J'étais hyper abattu. Mon père et toute ma famille des Antilles étaient déjà arrivés à Paris. Tout le monde était prêt. Tout le monde sauf moi. C'est le tournoi de ma vie (...) Ça m'a fait mal au coeur. Je ne dormais plus. Je m'en voulais. Et pourquoi j'y suis pas ? Pourquoi, merde ?! Je n'avais envie de rien. Pas envie de me lever le matin (...) Ouais, je déprimais. Mais, finalement, toute cette histoire m'a montré à quel point j'aimais jouer au tennis, à quel point j'aimais ce tournoi. Putain, qu'est-ce que je l'aime, ce sport !"
Son genou à problème (sa rotule droite est bi-partite - en deux parties), il en est question, bien entendu. Monfils relate, match par match, adversaire après adversaire, comment la douleur l'a perturbé : "contre Ferrero", la "volée contre Berdych", "direction Rome, on continue, c'est hyper violent, je sens une douleur maximale, je n'avais que vingt minutes d'autonomie". "A Nice, contre Baker, j'ai compris que ça ne passerait pas pour Roland. Un calvaire", conclut-il. Lui qui est "à la base contre l'idée d'injecter des substances dans le corps" ("Si t'as mal, tu te reposes. Tu laisses la nature et ton corps faire.") s'est résolu à subir une injection dans le genou : "un produit qui doit m'enlever l'inflammation et me graisser l'articulation. Ça va m'aider pour les six prochains mois. Peut-être un an."
"Pourquoi avoir autant attendu ? Manque de maturité, besoin de prendre une bonne gifle... Merde mec, c'est ta vie ! Bats-toi !"
Une mesure qui se combine à d'autres renforts, comme ceux d'une nutritionniste (fini les sodas, et viande blanche plutôt que viande rouge) et de l'ancien vice-champion du monde du 400 m Marc Raquil, devenu coach personnel, venu s'installer pendant trois semaines chez Monfils en Suisse : "Quantité, qualité, c'était hors du commun. Le coach est génial, l'homme est fabuleux." Des compliments que Raquil lui retourne : "Je ne connaissais pas Gaël. En fait, c'est un affectif. Un homme de coeur. Mais il est parfois trop dans l'excès. Il faudrait parfois se reposer mais lui veut tout le temps en rajouter."
Une prise de conscience et une prise en main au service d'un objectif : l'esprit de la gagne. "Je ne veux plus seulement être prêt pour jouer, je veux être prêt pour gagner. Ne pas en avoir peur. Ne pas avoir peur d'aller chercher mes limites. Peut-être que je ne gagnerai jamais un Grand Chelem. Mais je veux me donner la chance, en être sûr au plus profond de moi. Pourquoi avoir autant attendu ? Manque de maturité, besoin de prendre une bonne gifle... D'avoir eu ce temps mort où je n'étais pas bien m'a permis de faire le point et de me dire : "Merde mec, c'est ta vie ! Bats-toi !"
"J'ai commencé par me raser la tête et puis je suis parti très, très loin. Tout seul. J'ai terriblement pensé à Philippe Manicom, à ce qu'il me dirait s'il était encore là. C'est parti loin..."
Car si l'aspect physique cristallise le problème, la dimension psychologique est au moins aussi cruciale. S'il confie avoir vibré en regardant ses potes à Roland-Garros ("Jo [Tsonga], contre Djokovic, il m'a fait rêver. J'ai tout vu, j'étais au taquet. Les quatre balles de match ? Pfff, j'avais envie de pleurer."), puis avoir accueilli avec un immense respect la nomination d'Arnaud Clément à la tête de l'équipe de France ("Les paroles qu'il a eues pour nous après la défaite [lors de la terrible finale de Coupe Davis à Belgrade en 2010], rien que pour ça, je signe ! Le mec, c'est un bonhomme !"), Gaël Monfils raconte comment il est parti "très, très loin", dans le mysticisme même, pour retrouver un certain "fighting spirit" : "J'ai suivi Roland-Garros mais j'étais loin. J'ai commencé par me raser la tête et puis je suis parti très, très loin. Tout seul. J'ai bougé dans plusieurs endroits. A un moment, j'ai débarqué sur une île que je ne connaissais même pas. J'avais besoin de ça pour me poser les bonnes questions. C'est dans ces moments-là que tu te recueilles. J'ai eu une vraie communion avec Philippe [Manicom, son ami et ancien kiné décédé en juillet 2011, NDLR]. J'ai terriblement pensé à lui, à ce qu'il me dirait s'il était encore là. C'est parti loin... Je me suis souvenu aussi des paroles de tous mes anciens entraîneurs (...) J'ai repensé à mes années de cadet, à mes années junior. Je me suis fait une synthèse : à un moment, j'ai été prêt et préparé pour gagner. Je n'étais pas là pour bien jouer, j'étais là pour gagner. Dernièrement, j'avais perdu cette hargne. Faut que je laisse s'exprimer ce fighting spirit. On m'a bridé et je me suis bridé. Ma fougue avait diminué (...) Faut pas se mentir."
Cette renaissance cathartique a-t-elle seulement eu lieu à temps pour espérer jouer aux JO ? Gaël Monfils, qui a débarqué à Londres lundi, ne peut pas le prédire : "Je n'ai pas touché une raquette depuis le 23 mai. Là, je n'en peux plus ! J'ai la dalle (...) Je voulais tout régler avant de rejouer (...) Est-ce que je serai compétitif pour les Jeux ? Je ne sais pas (...) Est-ce que mon genou va tenir les appuis ? Est-ce que je ne vais pas avoir une douleur à l'épaule quand je vais servir ? Est-ce que mon bras va encaisser les vibrations ? Est-ce que ça ne vaut pas le coup de ne revenir que quand je serai vraiment prêt ? (...) Reprendre aux Jeux, ce serait magique ! J'y pense tous les jours ! Mais imaginez si je pète : pfff, ça pourrait m'achever."
G.J.