C'est une Sophie Robuchon "dépitée" qui a accepté de témoigner auprès de nos confrères de Libération : fatiguée depuis 6 ans par le combat mené pour récupérer la gestion de l'héritage de son père Joël Robuchon, la jeune femme, également à la tête d'un restaurant avec son mari, s'est confiée avec beaucoup de transparence.
"Cela fait six ans maintenant que nous sommes pris dans les affres de cette succession. Vous n'imaginez pas la violence pour notre famille, de devoir endurer cela psychologiquement. Nous ne demandons qu'à poursuivre l'oeuvre de mon père, en développant de nouveaux et beaux projets autour de sa passion : la cuisine", a-t-elle expliqué. Il faut dire que la "gestion a minima douteuse" de l'héritage leur prend beaucoup de temps et d'énergie.
En raison, notamment, d'une grosse bataille judiciaire entamée par la famille contre un notaire, Eric Fouché, et un avocat, Yves-Marie Ravet, au départ chargés de gérer la succession du septuagénaire. Une succession difficile : en mourant à 73 ans en août 2018, le chef avait laissé "des biens, des liquidités mais surtout une constellation complexe de sociétés" selon nos confrères. Pour les gérer, les deux hommes de loi mettent en place une fiducie, qui "permet le transfert provisoire des biens immatériels de la succession pour protéger d'éventuels litiges commerciaux".
Mais selon Sophie Robuchon, c'est surtout pour contrôler tout cet argent que ce montage financier est mis en place : comme son avocat l'explique, elle et ses frères n'auraient plus aucun contrôle sur leur fortune. "Cela a permis au conseil à la manoeuvre de déposséder les héritiers des droits et des marques de M. Joël Robuchon et de se conférer des pouvoirs de gestion quasi illimités sur les marques. Depuis lors, Sophie Robuchon n'arrive pas à exercer le moindre contrôle sur la gestion de cette fiducie notamment au travers des rapports de gestion qui ne lui sont pas remis comme prévu par le contrat", a-t-il expliqué, ce que le cabinet de l'avocat conteste avec ferveur.
Sophie Robuchon a quant à elle attaqué au civil et au pénal, pour "escroquerie en bande organisée, abus de confiance aggravée, d'abus de faiblesse et de prise illégale d'intérêt" et verra le premier procès se dérouler fin mai.
Mais ce ne sera qu'une étape dans cette longue bataille... puisque Sophie Robuchon et les deux hommes, qui se sont auto-attribués les casquettes de "président, associé et bénéficiaire" de la fiducie, sont également opposés dans une histoire d'honoraires. Considérant que la jeune femme et sa famille n'ont pas payé ce qu'ils lui devaient, l'avocat Yves-Marie Ravet a saisi le bâtonnier de Paris.
Qui, à la surprise générale, a pris parti pour la famille Robuchon ! Qualifiant la fiducie comme "un système à l'opacité absolue", il met en cause la gestion par les deux associés, dénonce les factures trop troubles et somme l'avocat de rembourser les 8 millions d'euros perçus entre octobre 2018 et mai 2022 pour la succession et les 700 000 euros pour la gestion des différentes sociétés. Alors que celui-ci demandait 700 000 euros en plus à la famille !
Une décision "indigne" selon l'avocate du mis en cause, qui jure que "Sophie Robuchon, sa mère et ses frères étaient informés chaque mois du détail des factures acquittées". Qualifiée de "vaste blague" par Sophie Robuchon, qui rappelle que sa mère est atteinte de la maladie de Parkinson et voit son jugement très altérée, cette accusation a également été mise à mal par le témoignage d'une ancienne employée du cabinet.
Fanny Collet, ex-assistante de facturation au cabinet Ravet et associés entre juin 2019 et avril 2022, a en effet expliqué à nos confrères être "écoeurée" de ce qu'elle a constaté et "confirme" les abus supputés par Sophie Robuchon.
"Il y a des excès monstrueux dans le montant des honoraires fixés. Le grand jeu au cabinet Ravet, c'est de facturer au temps passé, grande fierté qu'il dit avoir ramené d'Angleterre. En clair, pour un mail qui a pris dix minutes, il en facture trente. Pour une réunion d'une heure, il met deux heures et ainsi de suite. L'autre ficelle est de dire que des associés et collaborateurs l'épaulent lors de certaines réunions alors qu'il est seul. Là, on ajoute des temps fictifs qu'auraient passés un ou deux associés, et on se retrouve facilement avec des honoraires doublés voire triplés", dénonce-t-elle notamment, elle qui était "chargée d'établir les factures".
"Bien souvent, celui-ci les reprenait et raturait afin d'augmenter les temps ou ajouter des intervenants puis il me retransmettait ses annotations afin d'effectuer les modifications", a-t-elle complété.
Un témoignage fort qui pourrait donner raison à la famille du cuisinier, pour enfin clore cette affaire : "Si je parle, c'est parce que ce que dit Sophie Robuchon sur les honoraires est parfaitement exact. Je trouvais ça honteux et j'ai décidé de quitter la structure pour ne plus cautionner ça. Avant, j'ai dû participer à établir la procédure en taxation d'honoraires introduites par Yves-Marie Ravet, ça me faisait vomir. Pour lui, la succession Robuchon, ça a été comme une poule aux oeufs d'or", accuse la jeune femme. Bien sûr, l'avocat nie fermement ces accusations, expliquant qu'il "n'acceptera pas de se voir sacrifier sur l'autel de ces manipulations." Son avocate a d'ailleurs réfuté toute malversation.
L'avocat de Sophie Robuchon, en revanche, n'a pas manqué de réagir à ce témoignage gravissime : "Si les déclarations de Mme Collet sont exactes, nous serions quasiment aux prises avec une possible association de malfaiteurs. En effet, il s'agirait d'un système très sophistiqué et inédit qui aurait permis à des professionnels du droit, ayant vraisemblablement utilisé le crédit accordé à leur titre, d'abuser les clients", accuse-t-il auprès de nos confrères.
"La justice doit maintenant déterminer l'ampleur des responsabilités encourues. Elle doit passer dans toutes ses dimensions, civile, pénale, disciplinaire mais elle doit le faire vite avant que le dommage causé à la famille Robuchon soit irrémédiable et irréversible", conclut-il. Et on imagine que pour Eric et Sophie Robuchon, ainsi que pour leur petit frère Louis, la fin de cette histoire serait le plus grand des soulagements...