Joël Robuchon, chef aux 32 étoiles Michelin est mort à l'âge de 73 ans, en août 2018. Génie dans son art culinaire, adulé en France et à l'étranger (en Chine et au Japon notamment) et businessman hors pair qui a su faire de son nom une marque, il a laissé derrière lui une fortune et plusieurs sociétés. Lorsqu'il est décédé, ses héritiers se sont retrouvés face à un empire éparpillé en biens immobiliers, licences et liquidités. Le journal Libération du 7 février a enquêté sur cet héritage.
Une "escroquerie au cynisme rare" a eu lieu comme l'écrivent nos confrères. En effet, l'affaire d'héritage de Joël Robuchon est devenue complexe lorsque des spécialistes du droit et de la succession s'y sont mêlés. On parle ici de millions d'euros d'honoraires facturés. L'une des héritières, Sophie Robuchon, avec la veuve de Joël Robuchon (Jeanine), son frère Eric et son demi-frère Louis se sont portés partie civile et ont porté plainte.
Selon Sophie Robuchon, un notaire, un avocat, un administrateur judiciaire ou encore un ancien procureur ont mal géré la succession. "Nous avons été escroqués par des hommes de loi, c'est aussi simple que ça. Des millions d'euros ont été prélevés des comptes pour acquitter des honoraires fantaisistes au regard des actions entreprises", déclare-t-elle. Pour l'héritière, ces personnes ont mis en place un "système sophistiqué, organisé, huilé pour mettre les héritiers sur la paille". Et d'ajouter toujours à Libération : "C'est particulièrement douloureux pour Jeanine Robuchon, dont la fin de vie se déroule dans des conditions extrêmement précaires [elle est aussi atteinte d'une maladie neuro-dégénérative, NDLR]".
Toutes les personnes qui ont travaillé sur l'héritage avaient été recommandées par des amis de la famille, pas de raison donc de s'inquiéter au départ. Mais, certains éléments ont tout de même interpellé la famille. Notamment lorsque l'avocat Yves-Marie Ravet a proposé aux héritiers la désignation de Daniel Valdman - habitué des affaires commerciales - comme administrateur judiciaire de Jeanine Robuchon. Vu l'état de santé de la veuve de Joël Robuchon, connue des ces hommes, un mandataire judiciaire à la protection des majeurs aurait dû être désigné. Les hommes de lois nient bien sûr toutes mauvaises intentions et rappellent que ce dossier d'héritage est particulièrement complexe.
Déjà, Joël Robuchon est mort en Suisse où il résidait une partie de l'année. Il fallait donc déterminer quelle était sa résidence fiscale. Choisir la Suisse aurait été plus avantageux pour les héritiers mais les conseillers ont opté pour la France ce qui met un doute sur la qualité de leurs conseils justement. Or, Yves-Marie Ravet assume ce choix au vu des éléments du dossier.
Il fallait ensuite s'occuper du patrimoine immobilier, des sociétés commerciales dont certaines sont immatriculées à l'étranger, et la gestion des marques et des droits qui y sont attachés. Visiblement, tous les héritiers n'étaient pas d'accord sur quoi gérer en priorité.
Et puis il y a eu la création d'une fiducie qui permet un transfert provisoire des actifs et de leur usage. Un procédé qui doit protéger les marques de possibles litiges commerciaux. Cette fiducie a été proposée par Yves-Marie Ravet qui était apparemment "très pressant" à en croire Sophie Robuchon - il s'avère que la Fiduciaire de l'Orangerie était comme un cabinet d'avocat dirigé par Me Ravet mais il n'était pas précisé sur le contrat qu'il en était associé et bénéficiaire effectif. Plus tard, les héritiers ont découvert que le notaire Eric Fouché y possédait le même statut, à parts égales que les héritiers, soit 33,4% des actions.
Aujourd'hui où en est-on ? Presque six ans après la mort de Joël Robuchon, sa veuve n'a toujours pas touché sa quote part du patrimoine conjugal, soit 50%. Une plainte au pénal a été déposée le 18 janvier 2022 et Sophie Robuchon a assigné les autres indivisaires pour enclencher la désignation d'un mandataire successoral indépendant, Alain Bouanha. Ce dernier a en effet relevé une situation préoccupante. Pour comprendre tout ce qu'il s'est passé, il a demandé à Yves-Marie Rivet, tous les détails des actions effectuées. Et ce que va découvrir Sophie va la "dégoûter" : "Le nombre d'heures facturées, les montants, les motifs peu lisibles, la foultitude d'intermédiaires qui apparaît, c'est du délire." Selon Libération, en tout près de 8 millions d'euros sont entrés et sortis de la succession entre octobre 2018 et mai 2022. Yves-Marie Ravet aurait perçu plus de 2 millions d'euros d'honoraires sur la succession et plus de 700 000 euros sur les différentes sociétés du groupe - des montants contestés par le principal intéressé qui estime ne pas avoir perçu la totalité de ce qui lui est dû. Il a d'ailleurs saisi le conseil de l'ordre des avocats de Paris pour toucher le reste de ses émoluments, soit près de 700 000 euros.
La terrible impression qu'ils se sont gavés
Autre chose qui a attisé la colère de Sophie Robuchon, le fait que le mandataire successoral indépendant Alain Bouanha apparaisse sur des diligences d'Yves-Marie Ravet et ce, neuf mois avant qu'il soit engagé ! Celui-ci explique qu'il avait été contacté pour procéder à la liquidation de sociétés luxembourgeoises détenues par la famille. Un projet abandonné. C'est après qu'il a été désigné mandataire. Pour Sophie Robuchon les liens entre ses hommes sont suspects et elle a la "terrible impression qu'ils se sont gavés" sur le dos des héritiers.
En septembre Sophie Robuchon a fait délivrer deux mises en demeure à Alain Bouanha afin qu'il abandonne son rôle de mandataire judiciaire. Sans effet. Lui a réclamé oralement de son côté 500 000 euros d'honoraires aux Robuchon. En septembre également une plainte pour escroquerie en bande organisée, d'abus de confiance aggravée, d'abus de faiblesse et de prise illégale d'intérêt a été déposée.
Retrouvez l'enquête complète de Libération dans le journal du 7 février 2024.
Droit de réponse à la demande de Maître Daniel Valdman après la publication de l'enquête :
"J'entends exercer mon droit de réponse à la suite de l'article relatif à la succession de Joël Robuchon que vous avez publié le 7 février 2024 sous le titre 'Héritage L'avocat, le notaire, l'ancien proc et les millions envolés des Robuchon'.
Cet article me met gravement en cause en me présentant notamment comme faisant partie d'un 'quarteron de juristes, dont l'action, suspecte' serait 'déjà au coeur d'investigations civiles et pénales', professionnels du droit qui seraient 'suspectés d'une escroquerie au cynisme rare, [ayant] englouti des millions d'euros d'honoraires'.
Il est indiqué dans cet article 'l'une de ses premières décisions (Maître Ravet), qui alimente aujourd'hui la suspicion de Sophie Robuchon sur ses intentions initiales, a été de proposer la désignation de Daniel Valdman, habitué des affaires commerciales, comme administrateur judiciaire de Jeanine Robuchon, alors déjà très affaiblie.'
'Les intérêts de (sa) maman n'étaient pas du tout garantis par Daniel Valdman qui, choisi par Yves- Marie Ravet, n'était là que pour entériner complaisamment ses orientations juridiques et financières.' Ces accusations sont inacceptables et portent incontestablement atteinte à mon honneur et à ma réputation.
La présentation que vous faites de mon intervention dans l'intérêt de Madame Jeanine Robuchon n'a rien à voir avec la réalité, votre article étant émaillé d'erreurs et d'allégations mensongères à mon égard. En ma qualité d'administrateur judiciaire, j'interviens tant pour des missions civiles que pour des missions commerciales. Je suis intervenu pour une mission de mandataire successoral de Madame Jeanine Robuchon.
Je tiens notamment à préciser que ma mission auprès de la veuve de Joël Robuchon n'a duré que 12 mois, du 8 mars 2021 au 8 mars 2022 et que, contrairement aux affirmations de l'article, je n'ai pas touché à ce titre 'près de 144 000 euros'. Seul un montant total de 38 105 € TTC a été facturé au titre de cette mission, dont plus d'un tiers n'a à ce jour pas été réglé.
Lorsque j'ai commencé cette mission, Maître Ravet n'était plus le conseil de la succession et aucun honoraire n'a été réglé à celui-ci lors de mon mandat. Dans le cadre de cette mission, j'ai toujours eu à coeur de rechercher la meilleure solution pour préserver et valoriser la marque Joël Robuchon et sécuriser la situation financière de Madame Jeanine Robuchon. Une solution avait été négociée qui répondait à cet objectif, mais n'a pas pu être signée en raison de l'absence d'accord entre les héritiers.
Cette affaire s'inscrit en effet dans le cadre d'un désaccord profond et persistant entre héritiers depuis la disparition de Joël Robuchon, conflit familial que l'article en cause passe totalement sous silence et qui explique pourtant très largement la situation de la succession aujourd'hui.
Compte tenu de ce conflit familial, j'ai pour ma part été favorable à la désignation d'un administrateur judiciaire indépendant pour représenter la succession, désignation à laquelle le Tribunal judiciaire de Paris avait procédé. Madame Sophie Robuchon a cependant préféré - ce que votre article se garde de mentionner voir désigner un autre administrateur, privé et amiable pour remplir cette mission, administrateur auquel elle adresse aujourd'hui dans votre article les mêmes reproches qu'aux autres juristes intervenus dans la cadre de cette succession.
Etant, comme les autres professionnels du droit précités, tenu à la confidentialité, je n'ai bien évidemment pas pu exposer à Monsieur Le Devin, journaliste de Libération m'ayant contacté tout ce que je pouvais connaitre de ce dossier. Cette particularité aurait dû le conduire à faire preuve de prudence dans la présentation de ce dossier. Or, cela n'a manifestement pas été le cas, puisque l'on a présenté la thèse d'un seul des protagonistes de cette affaire pour la relayer largement.
L'article au final est donc totalement à charge, notamment à mon égard. Le respect de la mémoire de Joël Robuchon me semble mériter mieux que cet article, dont je ne peux que déplorer le contenu et le fait qu'il ne soit manifestement pas de nature à apaiser les relations entre ses héritiers, alors qu'il est dans l'intérêt de la succession qu'un accord puisse être trouvé rapidement, afin que la marque Joël Robuchon puisse à nouveau être mise en valeur dans l'intérêt de l'ensemble des héritiers.
En toute hypothèse, je me réserve le droit d'introduire toute action à l'encontre des personnes responsables de la diffusion de ces informations mensongères et attentatoires à mon honneur."