À l'instar de Manuel Valls qui multiplie les tweets saluant la bonne forme du cinéma français, le septième art tricolore a vécu une soirée idyllique ce 24 mai à l'énoncé du palmarès du 68e Festival de Cannes. Outre les acteurs Emmanuelle Bercot et Vincent Lindon qui ont reçu le prix d'interprétation, c'est surtout la Palme d'or offerte à Jacques Audiard qui a catalysé l'attention. Six ans après avoir été privé du titre suprême par Michael Haneke (qui l'avait doublé avec Le Ruban blanc en 2009 qu'il n'oubliera pas d'épingler avec humour), et le Grand Prix pour son magnifique Prophète, le fils de Michel Audiard a enfin brandi le précieux honneur cannois avec Dheepan. Le film, tout primé qu'il est, ne fait toutefois pas l'unanimité.
Comme dans Un prophète, c'est avec des acteurs méconnus du grand public que Jacques Audiard est sacré aux yeux du monde. Se disant "infiniment touché" par le prix, le cinéaste n'a pas caché son émotion, cherchant ses mots. Après avoir présenté ses deux acteurs principaux, les talentueux Antonythasan Jesuthasan et Kalieaswari Srinivasan, "sans qui il n'y aurait pas de film, pas de Palme", il a rendu hommage à son père, scénariste de génie, en citant Dumas. "Le fils d'Alexandre Dumas parlait de son père Alexandre Dumas en disant 'ce fils que j'ai eu si tôt.' Et bah, je pense à mon père." Michel Audiard a eu son deuxième fils, Jacques, alors qu'il était âgé de 32 ans.
Un film dans l'air du temps ?
Thierry Frémaux et Pierre Lescure l'avaient promis en conférence de presse pour annoncer la sélection officielle : cette compétition dit beaucoup de notre monde, de ses motivations, de ses peurs, de ses tensions. "La décision de remettre la Palme d'or à Dheepan a été rapide, nous étions tous enthousiastes par rapport à ce film que nous avons trouvé magnifique", a justifié plus tard en conférence Ethan Coen. "Qu'il s'agisse d'un sujet d'actualité n'est pas entré en ligne de compte", nuance la jurée Rokia Traoré.
Dans les thèmes abordés durant le Festival, les maux de la planète auront en effet été largement abordés, et la France n'y aura pas échappé. Outre Vincent Lindon, ex-chômeur qui retrouve un emploi dans la France d'en-bas, Jacques Audiard dépeint avec Dheepan une vision sombre des cités françaises, rongées par la drogue, la violence, la rivalité des gangs, et où l'intégration est difficile, voire impossible. Autant de thèmes auxquels le personnage de Dheepan (brillamment campé Antonythasan Jesuthasan) fait face tout au long de son parcours raconté dans le film.
Vision stigmatisante ou réaliste ?
Certains y verront toutefois une vision biaisée, stigmatisante et très pessimiste des fameuses no-go-zones françaises, on pense aux Cahiers du cinéma, qui dénoncent "le triomphe des manipulateurs" avec "Dheepan et sa banlieue nettoyée au Karcher", ou à Libération qui vise "les deux premiers tiers flaccides du film" comme "un épilogue où l'on s'accable moins de la grossièreté des moyens de la mise en scène qu'au retour d'Audiard à sa sempiternelle dialectique viriliste de la lavette et de la brute". D'autres y voient une peinture brutale mais emplie de réalisme et de courage, magnifiée par une mise en scène implacable. Tout en flirtant avec le cinéma de genre – et notamment pour la scène finale, très stylisée –, Jacques Audiard a rebondi sur un sujet hautement politisé, ce qui ne manquera pas de faire réagir d'ici à la sortie du film, le 26 août prochain.
L'histoire de Dheepan : Fuyant la guerre civile au Sri Lanka, un ancien soldat, une jeune femme et une petite fille se font passer pour une famille. Réfugiés en France dans une cité sensible, se connaissant à peine, ils tentent de construire un foyer.
Christopher Ramoné