Après bientôt vingt-cinq années d'une carrière atypique et tellement indispensable, qui rappelle a tout moment, comme par magie, combien la chanson peut et doit être un art léger et facétieux, la chanteuse Juliette a toujours le verbe élégamment vert et l'oeil malicieusement acéré.
Après une dizaine d'albums aussi intelligents dans leur facture que rentre-dedans par leur acuité - un parcours largement récompensé d'ailleurs, tant par l'Académie Charles Cros et les Victoires de la Musique que par les médailles des grands ordres (Arts et Lettres, Mérite) -, l'artiste publiait début janvier 2011 No Parano, un nouveau kaléidoscope de bons mots, d'observations croquées, de pépites qui font mouche.
On y trouve notamment une reprise des Dessous chic de Jane Birkin, un Madrigal moderne sur lequel le violoncelliste des stars (Sting, Matthieu Chedid, Jeanne Cherhal, Alexandre Desplat...) Vincent Ségal (Bumcello) est invité, des chansons hispanophones, une reprise de son bon vieux Que tal ?...
Mais aussi des réactions caustiques aux manifestations "artistiques" de l'ère moderne. Ça barde pour le matricule des aspirants-stars, des nouvelles reines du trash et des télé-crochets, qui en prennent pour leur grade avec le single... "The" Single ! Dans le collimateur notamment, "la diva du mainstream", "la popstar pas si sage" encensée par les Inrocks, cette "célébrité pleine de contradictions mais qui n'oublie pas de vendre ses chansons". Le tout dans un patchwork musical déjanté, sur mesure, cadencé par un refrain joliment moqueur.
Pour fustiger simultanément la marchandisation (et, partant, la possible fabrication de toutes pièces) de la musique et les miroirs aux alouettes de la petite lucarne, avec tous ces arrivistes ou doux rêveurs qui alimentent les usines à faire des stars, Juliette s'est imaginé son propre "univers" de télé réalité, dans un clip pétri d'humour, truffé de personnages croquignolets qu'elle incarne personnellement, et réalisé en s'inspirant très fidèlement des Nouvelle Star et autres : ça s'appelle "La France a vraiment trop trop de talent", c'est bourré d'ironie, de gags et de vérités vraies, et c'est un bon gros pavé dans la mare qui fait rire quand ça éclabousse !
Petite revue des candidats ébauchés par Juliette ?
"Mon texte est trop génial et un peu trop provocateur/Pour le défendre, il vaut mieux que je sois un peu beur/La crédibilité, c'est ça qu'on aime maintenant/C'est assez consensuel, ça rassure les parents."
"Il faut soigner son look/Ça c'est indispensable/Je suis ronde et alors/Je trouve ça formidable/Bousculer les clichés/Tendance irrévérence/Maintenant que Gossip/A fait jurisprudence." Et d'illustrer son propos sur Beth Ditto avec un pastiche rugueux de Gene Simmons (de Kiss) !
Bref, loin des attaques à l'emporte-pièce et des railleries faciles, Juliette tente de réveiller les consciences, ou, au moins, d'amuser celles qui ne se sont pas laissé endormir par les sirènes de l'industrie du divertissement. Avec, à la clé, une salve de maximes à garder en tête, sur fond de choeurs espiègles (na-na-na, ouh-ouh-ouh) :
La plus sarcastique : "Qu'il est bon de vouloir ce que tout le monde veut déjà."
La plus imagée : "Quand le vent fait du buzz, les goinfres font miam miam."
La plus "fabuleuse" : "Quand le loup fait ouh, les moutons font ronron - petit patapon."
La plus irréductible : "Qu'il est bon de savoir que chacun fait ce qu'il doit." C'est bien pour cela que Juliette fait des chansons.
Guillaume Joffroy