La fin prévisible d'une vie de gangster sur fond de scandale royal... Témoin-clé d'un passé supposément classé X prêté au roi Carl XVI Gustaf de Suède par une biographie non autorisée tapageusement publiée en 2010, Mille Markovic, figure notoire du banditisme à Stockholm, a été assassiné le 23 janvier dernier à Bromma, dans la banlieue ouest de la capitale nordique.
Ancien champion de boxe devenu dans les années 1990 un parrain de la nuit - au casier judiciaire bien fourni - à la tête du club libertin baptisé Club Privé, le "Al Capone" suédois a été abattu de quatre balles dans la tête par deux agresseurs à proximité de son domicile d'Ulvsunda. Lorsque la police est arrivée sur les lieux, elle a trouvé Markovic en train d'agoniser dans sa voiture, côté conducteur ; il n'allait pas tarder à succomber, à l'âge de 52 ans, à ses blessures mortelles. Un travail de professionnels, après lesquels les enquêteurs courent toujours, ne disposant que de maigres indices (des traces de pneus dans la neige, une Toyota Corolla blanche identifiée, des témoignages sans signalement...). À moins que le système de vidéosurveillance installé par le défunt à son domicile ait filmé son exécution ?
Né en Yougoslavie et vite confronté à la violence avec le meurtre de sa mère alors qu'il avait 3 ans, Milentije Markovic avait émigré en Suède et s'y était fait un nom (champion à 16 ans, en 1977, en poids coqs) dans le milieu de la boxe amateur et pro, dont il se retira en 1989. Entre-temps, il avait reçu, en 1982, la nationalité suédoise. Après sa retraite sportive, il avait pris dans les années 1990 la direction du club porno Club Privé, devenant rapidement une personnalité majeure du milieu et se forgeant un pédigrée édifiant : condamnation pour possession et vente illégale d'alcool en 1994 (sursis), pour conspiration en vue de chantage et de graves préjudices (il avait équipé une chambre de son club de caméras cachées pour tenter de piéger des personnalités, dont Björn Borg, lors d'ébats et de consommation de drogue) en 1995 (un an de prison), pour fraude et infractions comptables aggravées ainsi que divers délits (armes, drogue, recel...) en 2008 (2 ans et 3 mois de prison), pour agression, attentat à la pudeur et drogue en 2009 (9 mois), pour fraude aux prestations sociales en 2011 (il se faisait passer pour malade et sans emploi)... En 2013, il avait été inculpé pour avoir supposément commandité la tentative de meurtre de Michael Badelt, ancien joueur de hockey devenu propriétaire du Club Privé avec lequel il était en conflit judiciaire, mais les charges avaient été abandonnées suite à la rétractation d'un témoin lors du procès.
Chantage à la photo truquée...
Le nom de Mille Markovic, déjà très connu pour ses activités sulfureuses, s'était retrouvé sous les feux de la rampe à la sortie d'une biographie non autorisée du roi Carl XVI Gustaf de Suède, en novembre 2010. Dans leur ouvrage Carl XVI Gustaf – Den motvillige monarken (Carl XVI Gustaf, roi malgré lui), les journalistes Tove Meyer, Deanne Rauscher et Thomas Sjöberg, sous le prétexte de vouloir décrire "le roi en tant que personne", ressassaient au grand jour un paquet de vieilles rumeurs et s'épanchaient allègrement, en 338 pages, sur des prétendues parties fines ("c'était filles à la carte pour la bande du roi"), liaisons extraconjugales (sa liaison à la fin des années 1990 avec Camilla Henemark, sublime chanteuse nigériano-suédoise du groupe à succès Army of Lovers, est traitée en... 14 pages), et relations douteuses du souverain. Les supposées visites secrètes, au péril de sa propre sécurité, du roi dans des boîtes de strip-tease dont le Club Privé sont également évoquées. La biographie rapporte le témoignage de plusieurs femmes qui prétendent avoir eu des rapports sexuels, parfois à plusieurs, avec le roi Carl XVI Gustaf, et avance que des agents se seraient chargés de récupérer chez certaines d'entre elles des "documents" compromettants (photos).
Des photos compromettantes du roi en pleins ébats adultérins, c'est précisément ce que Mille Markovic affirmait détenir. Dans un reportage diffusé par la chaîne nationale TV4 après la parution de l'ouvrage, le parrain suédois brandissait des photographies prises dans son club de strip-tease, montrant le roi et des amis se délecter d'actes lesbiens, et affirmant en posséder d'autres : "J'ai gardé les négatifs pour les publier au bon moment et me protéger", affirmait Markovic tandis que des médias nationaux exhumaient des enregistrements de conversations téléphoniques où des proches du monarque tentaient de faire pression sur lui pour le dissuader de rendre ces clichés publics. Et alors que certaines franges de la classe politique mais aussi la majorité (59%) de l'opinion réclamaient l'abdication du roi, le porte-parole du palais avait à l'époque joué les pompiers de service, déclarant : "TV4 doit fournir les documents qu'elle dit posséder. Où sont les preuves matérielles ? Je n'en vois pas. Il faut qu'il y ait un peu de justice dans tout cela : vous ne pouvez pas attaquer la famille royale et le roi sans apporter la preuve de vos allégations ! Je ne peux pas commenter des clichés que je n'ai pas vus." Et pour cause : les photos que Mille Markovic se targuait d'avoir étaient vraisemblablement le fruit de montages, comme cela avait été démontré concernant celle qu'il avait présentée à l'écran, obtenue numériquement à partir d'images du roi datant de 1976. Il n'empêche, l'affaire avait fait grand bruit (le tirage initial du livre, soit 20 000 exemplaires, avait été écoulé en quelques heures), d'autant que le principal intéressé n'avait rien démenti, signalant simplement que les faits "remontent à longtemps" et disant vouloir "tourner la page" avec sa famille - la reine Silvia avait enduré stoïquement le scandale et pris publiquement, une nouvelle fois, la défense de son époux, avec le même type de discours.
Le parrain vivait dans "une peur constante"
"Star" des dessous inavouables de la vie de Stockholm, Mille Markovic avait lui aussi eu droit à des "biographies", notamment une enquête du journaliste Nuri Kino consacrée aux "rendez-vous secrets" du parrain suédois en 2011, et une bio éponyme de Beata Hansson et Deanne Rauscher en 2012. Cette dernière a d'ailleurs confié, après le meurtre, que Markovic lui avait fait part de graves menaces formulées contre sa famille et lui, dont la police était informée. "Les menaces s'étaient intensifiées dernièrement. Il vivait dans une peur constante, et la police avait mis son téléphone sur écoute", a fait savoir la journaliste, choquée par la mort du truand qui était aussi, rappelle-t-elle, le père aimant de huit enfants.
Certains de ses secrets surgiront-ils encore d'outre-tombe ?