Comme la musique, l'émotion n'a pas de frontières. Au lendemain des obsèques de Pierre Boulez, célébrées mercredi à Baden-Baden, fameuse station thermale allemande proche d'Haguenau où il s'était installé au début des années 1960 et où il est décédé le 5 janvier 2016, l'hommage de la France au compositeur et chef d'orchestre rassemblait, le jeudi 14 janvier à Paris, de nombreuses personnalités.
Figures du monde politique et de la culture, dirigeants d'institutions ou encore artistes, leur présence à elle seule en disait long sur la contribution exceptionnelle de Pierre Boulez à la musique moderne. Le Premier ministre Manuel Valls prenait part à la cérémonie, organisée en l'église Saint-Sulpice ; assis au premier rang avec son épouse la violoniste Anne Gravoin, il était entouré de plusieurs des ministres de la Culture de la Ve République : outre Fleur Pellerin, actuelle titulaire du poste, Jack Lang, Catherine Tasca, Jean-Jacques Aillagon ou encore Jacques Toubon étaient présents.
Les proches du défunt, au fil de leurs interventions, ont dessiné le portrait d'un homme forcené de la beauté, curieux de tout et brillant en tout, progressiste, acharné jusqu'à l'excès ; en bref, ils ont restitué la grandeur d'un génie de son temps. "Tout l'intéressait : la musique la littérature, la peinture, le théâtre... Il savait établir des connections entre toutes choses, a loué le chef d'orchestre Daniel Barenboim, son ami depuis plus de cinquante ans, admiratif de sa "curiosité" et de son "rayonnement unique" qui fait qu'il "est avec nous" même après sa disparition. "Les seules choses qui le rendaient impatient, et même follement impatient, étaient la superficialité et la paresse", a signalé le chef israélo-argentin de 73 ans devant un auditoire qui comprenait le directeur de l'Opéra de Paris Stéphane Lissner, le compositeur et directeur du conservatoire de Paris Bruno Mantovani, la cheffe d'orchestre Laurence Equilbey ou encore, bien entendu, Frank Madlener, directeur de l'Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam) - fondé par Boulez.
Bien sûr qu'il avait mauvais caractère !
Ex-directeur de l'Ircam, Laurent Bayle, directeur général de la Cité de la Musique et président de la Philharmonie (deux points névralgiques créés à l'initiative de Pierre Boulez), qui accueillera le 26 janvier un concert d'hommage, a mis en exergue sa "volonté sans égale de rénovation", contemplant sa "trajectoire inscrite dans le siècle".
Bâtisseur d'institutions, Pierre Boulez avait logiquement tissé des liens d'amitié avec d'éminents représentants du monde de l'architecture, dont certains étaient présents pour cette cérémonie, à l'instar de Jean Nouvel, qui a construit la Philharmonie de Paris, ou Renzo Piano. L'Italien a d'ailleurs apporté une touche flamboyante de plus au portrait de son regretté ami, en décrivant avec une certaine tendresse son degré d'exigence, cet "acharnement de recherche" qui lui valait des ennemis : "Ses demandes étaient souvent déraisonnables. Pierre voulait changer le monde, pas seulement le monde de la musique, mais le monde... Bien sûr qu'il avait mauvais caractère. Il avait mauvais caractère avec les imbéciles... Ceux qu'il appelait 'les invalides de la nostalgie.'"
Outre du Schönberg et du Messiaen, l'église Saint-Sulpice a résonné d'extraits de son "Dialogue de l'ombre double, pour clarinette", interprétés par des solistes de son Ensemble intercontemporain et dispersés aux quatre coins de l'église, restituant la musique "spatialisée" chère au compositeur.
La veille, Pierre Boulez avait été inhumé à Baden-Baden en présence d'une centaine de proches.