Énorme succès en librairies, la trilogie de Virginie Despentes Vernon Subutex est naturellement devenue la série française la plus attendue de l'année. Les premiers épisodes ont été présentés lors du festival CanneSéries avant de débarquer sur Canal+ à partir du 8 avril 2019. On savait que l'auteure des romans n'était pas impliquée dans cette adaptation. On apprend dans la grande interview donnée par Despentes dans le magazine Society, en kiosques le 16 mai, qu'elle l'a été, en réalité, avant de claquer la porte.
Le héros Vernon Subutex est un disquaire adoré qui se retrouve à la porte du jour au lendemain. Après avoir visité ces anciens amis, il finit clochard au parc des Buttes-Chaumont. C'est le point de départ de cette trilogie dont le premier tome est une galerie de portraits assez fantastiques, sous la plume à la fois tendre, politique et très affûtée de l'auteure de King Kong théorie. Dans Society, Virginie Despentes explique que la première trahison de l'adaptation, est d'avoir voulu faire de Vernon un assisté : "Ils n'avaient aucune idée de rien, la seule chose à laquelle ils tenaient, c'était que Vernon doive plus de deux dans de loyer. Et tu leur dis : 'Mais pourquoi est-ce que vous voulez qu'il doive deux ans de loyer ? C'est très rare de rester deux ans sans se faire expulser, dans un logement en plein Paris !' Et la première chose que Vernon faisait après s'être fait expulser – je ne sais pas si c'est resté, mais ils y tenaient comme des fous –, c'était aller chercher son RSA. Mais qui fait ça ? Vous connaissez quelqu'un qui fait ça, vous ? Non, personne. Ça, c'est vraiment une vision du prolétariat par la bourgeoisie."
C'est vraiment une vision du prolétariat par la bourgeoisie
Vernon Subutex a été adapté par Cathy Vernet avec Romain Duris, dans le rôle-titre, mais aussi les excellents Céline Sallette et Philippe Robbot, ainsi qu'une révélation : Flora Fishbach. Les étoiles étaient alignées, mais la collaboration entre Vernet et Despentes n'a pas tenu : "Au début, j'ai accepté de bosser dessus parce que la réalisatrice avait fait un truc qui s'appelait Hard, que j'avais pas trouvé horrible. Mais au bout de trois semaines, ça s'est délité." Une dispute plus tard et Virginie Despentes quitte le projet. Elle explique ne pas avoir vu le résultat. Elle ne s'en rend pas malade, aussi parce que c'était une bonne affaire : "C'est comme ça, j'ai vendu les droits. Et puis, c'est une douche de thunes. C'est pas que je m'en fous, mais ça passe, quoi."
À propos d'argent, dans la suite de cet entretien-fleuve, Virginie Despentes répond aux accusations qui reviennent toujours à son sujet, celui de l'embourgeoisement. Pour elle, c'est une manière de rappeler qu'elle n'est pas du sérail – une autre forme de mépris de classe. Elle assume cependant complètement un certain paradoxe : "Tu ne vends pas ce que tu vends de Vernon Subutex sans une certaine perméabilité au système, mais aussi ta propre adaptation. J'avais suffisamment de conscience politique pour savoir que tu ne vas pas être une dangereuse gauchiste en signant chez Grasset ou en faisant ta promotion sur Canal+ et France Culture. Il y a une contradiction dans les termes que je connaissais, et je n'ai jamais dit le contraire. Ce qui bizarre, c'est que c'est une question qu'on ne posera jamais à quelqu'un d'autre."
Retrouvez l'intégralité de cette interview dans Society.