"J'aurais pu tomber plus mal !", observe-t-il avec une lucide sincérité et une bonhomie palpable. Alain Pompidou, fils adoptif de l'ancien président de la République Georges Pompidou et de son épouse Claude, semble n'être pas homme à tourner autour du pot, ce qui promet une somme de confidences passionnantes dans Claude. C'était ma mère, un ouvrage qui paraît aux éditions Flammarion à la gloire de la grande dame de France disparue en 2007. "Les Français se rappellent son élégance, sa prestance, mais le souvenir s'estompait un peu", croit-il avoir remarqué et explique-t-il à Laurence Durieu, qui l'a rencontré pour l'hebdomadaire VSD (n°2043, du 20 octobre 2016).
Eminent scientifique, qui entre autres enseigna histologie, embryologie et cytogénétique en fac de médecine à Paris durant trente ans, Alain Pompidou n'est certes "pas écrivain", comme il en convient en dépit de ses articles publiés et d'un ouvrage sur l'éthique biomédicale (Souviens-toi de l'homme : l'éthique, la vie, la mort - Payot, 1990), mais il a du style. En effet, le "professeur" a visiblement un sens inné de la narration, de l'intrigue et de la péripétie... Ainsi quand, au tout début de leur conversation, il révèle à la journaliste "ce problème d'adoption" et, devant sa perplexité, lui raconte crânement : "Problème car mes parents m'ont toujours caché le fait que j'avais été adopté." La bombe est lâchée d'emblée, et l'on comprend que cette facette de l'histoire familiale a joué un rôle particulier dans la conception de ce livre chargé d'intimité : "Non seulement mes parents ne m'en ont jamais parlé, mais ils l'ont toujours caché. Ma mère ne voulait pas qu'on en parle", indique-t-il en rappelant qu'en ce temps-là (1942), "le fait de ne pas pouvoir avoir d'enfant était considéré comme infamant" et "ne se disait pas".
Mes origines étaient cachées, moi pas
Une fois entrebâillé le voile sur ce lourd secret et la plume allégée du poids de toutes ces années de non-dit, les vannes sont ouvertes, et Alain Pompidou se montre particulièrement disert pour reconstituer les premières années et livrer de touchantes scènes de la vie de famille : "Je suis né en avril 1942, à Paris, dans une clinique du 16e arrondissement, et j'arrive dans cette famille trois mois plus tard, le 5 juillet. Sur Wikipédia, je suis né en juillet 1942 !, note-t-il - on peut effectivement encore le vérifier sur l'incontournable encyclopédie en ligne. (...) Dès l'âge de 3 ans, ils m'emmenaient partout, aux manifestations officielles, aux expositions, aux concerts. Mon père me lisait L'Iliade et L'Odyssée et je m'endormais au son des sirènes. Ce couple fusionnel avait tellement intégré son enfant dans sa vie que nous sommes devenus un trio fusionnel. Si mes origines étaient cachées, moi pas."
Cachées, elles auraient presque pu le rester toute une vie, s'il n'y avait pas eu un concours de circonstance, ce jour où un chauffeur de taxi dépose Alain Pompidou quai de Béthune, au pied du domicile familial, en lui disant : "C'est ici qu'habite Mme Pompidou avec son fils adoptif." Il a alors 35 ans, découvre la vérité et en obtient confirmation auprès d'une tante : "C'est merveilleux, tu as été adopté en pleine guerre", lui dit-elle. "En fait, ça se savait mais personne n'en parlait", a fini par comprendre le principal intéressé. Et quand la journaliste à qui il fait ces révélations croit pouvoir en déduire qu'il en a ensuite parlé à ses parents adoptifs, il la contredit énergiquement : "Ah non ! Jamais. J'ai gardé le secret. Ils ne savaient pas que je savais. C'était de l'intoxication collective : ils ne voulaient pas se douter que je savais. Ça a été un choc de l'apprendre", précise-t-il, avec en toile de fond la loi Pétain autorisant l'accouchement sous X et les actes de naissance "peut-être pas remplis de manière parfaite", en ces "temps troublés".
Des journalistes ont fait chanter mon père
"Au bout de six mois, poursuit Alain Pompidou, j'avais digéré. Et puis, j'aurais pu tomber plus mal ! Je n'ai jamais voulu pénétrer leur jardin secret par respect, par reconnaissance de ce qu'ils ont fait pour moi. Certains journalistes, quand mon père était à Matignon puis à l'Elysée, l'ont fait chanter et se sont fait payer pour ne pas le révéler. C'était une obsession de garder le secret, surtout chez ma mère qui considérait ça comme un échec qui portait ombrage à sa stature, à sa dignité." "A la limite, c'était plus dramatique pour elle que l'affaire Markovic", ajoute-t-il, faisant référence au scandale - des rumeurs de chantage à partir de prétendues images de soirées libertines - qui éclaboussa et ébranla moralement Claude Pompidou, suite à l'assassinat en 1968 de Stephan Markovic, ancien homme de main de l'acteur Alain Delon. "Mon père n'a eu de cesse de protéger sa femme que ces calomnies avaient salie, qui ont porté atteinte à son honneur, à sa dignité, souligne Alain. Tout comme il l'a protégée par rapport à l'adoption." Une loyauté totale qui émane d'un amour sans faille, né d'un coup de foudre à la sortie du cinéma Saint-Michel : "C'est sans doute le dernier président de la République resté fidèle à sa femme", glisse malicieusement le fils, qui contribua en 2012 à éditer un recueil d'écrits de Georges Pompidou (Lettres, notes et portraits : 1928-1974, aux éditions Robert Laffont).
Une loyauté qui paraît même s'être insinuée dans le parcours d'Alain, devenu médecin, au grand soulagement de ses parents : "Comme ils cachaient mes origines, observe-t-il, il ne fallait surtout pas que je fasse de politique. Devenir professeur de médecine, comme mon grand-père paternel, m'a sauvé de ce monde car préparer ce concours c'est comme entrer dans les ordres. Et quand j'ai été chargé de mission à Matignon, pour le ministère de la Santé ou député européen convaincu de 1999 à 2009, ma mère a refusé d'aborder le sujet pendant toutes ces années." Une carrière finalement à l'image d'une vie sous le sceau du secret : médecin, il était "le premier informé des examens biologiques" de son père, atteint d'une maladie rare - la maladie de Waldenström -, mais n'en a jamais rien dit à aucun de ses parents : "A l'époque, quand il n'y avait pas de traitement, on cachait la vérité aux malades. C'était dur, j'apportais le soutien psychologique." "Je suis marqué par le secret", finit par résumer, avec à propos, Alain Pompidou.
Le témoignage qu'il apporte sur sa mère Claude, dont il ne manque pas d'évoquer avec VSD la droiture, l'amour de la mode et la passion pour l'art mais aussi les difficultés qu'elle rencontra dans les années 2000 en raison de son train de vie, s'annonce édifiant et haut en couleurs. Un regard inattendu et saisissant sur l'un des plus grands rôles secondaires de la Ve République.
Claude. C'était ma mère, par Alain Pompidou, éd. Flammarion.