Son regard est sublimé par ses paupières lourdes qui semblent vouloir cacher des mystères. Des secrets, Charlotte Rampling en a et les dévoile dans son livre Qui je suis, une plongée dans son enfance, avec pudeur, délicatesse et émotion. La comédienne britannique revient avec sa plume et celle de Christophe Bataille sur sa jeunesse, et ouvre son coeur sur la disparition de sa soeur aînée dans son oeuvre bouleversante. L'émotion est d'autant plus forte qu'elle vient de perdre son compagnon, Jean-Yves Noël. La mort frappe à nouveau et la dignité de cette femme reste inébranlable.
Héroïne du magazine M du Monde, Charlotte Rampling se livre au sujet de sa soeur Sarah, l'aînée, mais la plus fragile. Elle est "malade, elle tousse beaucoup, on l'opère. L'enfant têtue s'entend si souvent dire : 'Charlotte, occupe-toi de ta soeur.' Elle est sa meilleure amie. Car comment tisser les amitiés de l'enfance quand le père officier, affecté ici puis là, à l'étranger parfois, vous entraîne dans sept maisons en treize ans ? Sarah serait comme sa mère, 'une fleur pas vraiment faite pour ce monde'".
Et puis un jour, Charlotte Rampling a 21 ans, elle est une actrice qui débute. Elle rentre chez ses parents. Son père, colonel, l'attendait et lui dit : "Ta soeur est morte. Va voir ta mère." Juste avant que la nouvelle tombe, au mois de février 1967, Charlotte Rampling vivait une période d'euphorie : "Des années incroyables. Je me sentais invincible, on pensait changer le monde par l'amour." Elle s'était lancée dans une carrière devant les objectifs et jouait dans une pub pour les gâteaux Cadbury. Sarah n'avait plus besoin d'elle car elle s'était mariée en Argentine avec un homme plus âgé et riche.
A la douleur de la disparition s'ajoute celle du secret. Son père, s'occupant du chagrin éternel de sa mère, lui dit : "Ne reviens pas vers nous." Elle a obéi, elle est partie. "Ce n'est que trois ans plus tard qu'il lui a avoué la vérité : Sarah s'était donné la mort un mois après avoir accouché prématurément d'un petit garçon. Mais c'était murmuré sous le sceau du secret car c'était quelque chose que la mère ne pouvait entendre."
Mon fils faisait ce chemin que je n'avais pas fait.
De ses trois enfants au sein d'une famille recomposée, l'un d'eux, David, fera ce qu'elle n'a jamais pu faire. Et trouve sans le vouloir les mots de la fin de son livre. "Il y a deux ans, il envoie un texto à sa mère. Il fait nuit car il est loin. Elle lit : 'I'm sitting beside Sarah.' [Je suis assis à côté de Sarah] Il était à Buenos Aires, sur la tombe de Sarah, avec le fils de Sarah (Carlos Jr.) qu'il connaissait à peine. Il était allé là où elle n'était jamais allée. 'Mon fils faisait ce chemin que je n'avais pas fait. C'est plus beau comme ça'."
De la perte de sa soeur, Charlotte Rampling dira au Point : "C'était comme une histoire blanche, inexpliquée, qui me reste très mystérieuse. Ma soeur Sarah rencontre cet homme en vacances à Acapulco, l'épouse, s'installe en Argentine et disparaît à l'âge de 23 ans. A sa mort, ma mère est devenue tellement désespérée et tellement malade qu'elle n'a jamais récupéré. D'une certaine façon, j'ai perdu ma soeur et ma mère en même temps. La fin de mon Swinging London. [...] Je savais que je devais trouver d'autres façons d'exister, c'est-à-dire de justifier tous mes actes. Ma soeur m'a fait un don de profondeur. Ce sont les disparus qui nous ramènent à la mémoire, on se promène en fantôme dans le souvenir que l'on a de son passé."
Qui suis-je, par Charlotte Rampling et Christophe Bataille, aux éditions Grasset