Il avait beau avoir pris sa retraite il y a vingt ans, en 1992, son influence avait enjambé l'an 2000 et demeurait majeure dans le monde de l'art lyrique : le baryton allemand Dietrich Fischer-Dieskau, communément admis comme ayant été le "baryton du siècle" dernier, tant du fait de sa maîtrise vocale que des révolutions qu'il a impulsées dans son domaine, est mort vendredi 18 mai 2012 à Berg, en Bavière. L'annonce de son décès, survenu à dix jours de son 87e anniversaire, a été faite par son épouse depuis 1977, la soprano allemande d'origine hongroise Julia Varady, 70 ans.
Né le 28 mai 1925 d'un père principal de lycée et d'une mère enseignante, Dietrich Fischer-Dieskau avait à peine eu le temps d'entamer en 1942 un cursus au Conservatoire de Berlin, sa ville natale, sous la direction d'Hermann Weissenborn qu'il lui fallait partir pour la Seconde Guerre mondiale, incorporé dans la Wehrmacht. Fait prisonnier en Italie en 1945, il vit la fin du conflit dans un camp de prisonniers de l'armée américaine en Italie, où il donne en 1945 un premier récital de Schubert. Durant ses deux années de captivité, il chantera ainsi régulièrement dans les camps de prisonniers, réconfortant les soldats allemands vaincus et en proie au mal du pays à coups de Lieder, un genre auquel il se consacra avec une passion immense et dont il est crédité d'avoir engendré le renouveau.
Libre, il reprend en 1947 ses études au Conservatoire, enregistre pour la première fois le cycle de lieder Winterreise (Voyage d'hiver) de Schubert, qui restera une de ses interprétations emblématiques, donne son premier récital à Leipzig, débute sur scène (sans répétition, remplaçant au pied-levé le chanteur programmé, souffrant !) dans un requiem allemand de Brahms, fait avec Don Carlos de Verdi ses premiers pas à l'Opéra de Berlin, qui l'embauche en tant que premier baryton. L'Opéra de Berlin, qui demeurera son camp de base jusqu'à sa retraite opératique en 1978.
La carrière de Dietrich Fischer-Dieskau prend rapidement un tour international, visitant Pays-Bas, Suisse, France et Italie dès la fin des années 1940, découvrant le festival de Salzbourg ainsi que le Royal Albert Hall de Londres en 1951, effectuant sa première tournée aux Etats-Unis en 1955.
Outre sa contribution au renouveau du lied, avec des enregistrements tels que ceux qu'il réalisa avec son grand partenaire Gerald Moore (dont Winterreise et Die schöne Müllerin), et à l'opéra allemand, Dietrich Fischer-Dieskau s'illustra encore dans le champ de l'opéra italien (Verdi particulièrement) et celui de la musique contemporaine.
On loue aujourd'hui encore la technique vocale exemplaire du "baryton du siècle" et du "plus grand chanteur de Lieder", sa précision, son rôle dans l'intérêt pour la musique allemande romantique, sa curiosité, son expressivité. Dietrich Fischer-Dieskau, qui était père de trois fils nés de son premier mariage avec la violoncelliste Irmgard Poppen (il s'était ensuite remarié en 1965 avec la comédienne Ruth Leuwerik, puis, en 1977, avec la soprano Julia Varady), avait fait ses adieux à la scène au Nouvel An 1993, à 67 ans, se tournant vers l'enseignement, l'écriture, la peinture...
De nombreuses distinctions sont venues couronner son parcours, dont le Polar Music Prize 2005. Intronisé au Gramophone Hall of Fame en 2012, Docteur honoris causa des universités d'Oxford, Yale, Sorbonne et Heidelberg, il avait été fait en 1986 Grand officier de l'ordre du Mérite de la République fédérale d'Allemagne. La France lui a décerné les insignes de la Légion d'honneur (en 1990) et de commandeur des Arts et des Lettres (1995).