Peu d'hommes auront autant incarné leur art, auront autant fait corps avec la musique. Classé "Trésor humain vivant" par l'Unesco en 2006, Doudou Ndiaye Rose est décédé mercredi 19 août 2015 dans sa ville natale de Dakar à l'âge de 85 ans, ont indiqué à l'AFP sa famille et une association sénégalaise.
Largement rapportée par les médias locaux, qui ont bouleversé leurs grilles en conséquence, la nouvelle de la disparition du fameux maître-tambour sénégalais au visage juvénile et à l'énergie débordante a provoqué une vive émotion, quelques jours à peine après la liesse de la célébration de son 85e anniversaire (voir la vidéo en fin d'article), le 28 juillet. Son décès est apparu d'autant plus choquant qu'il avait été vu bien portant la veille, tandis qu'il assistait aux obsèques de Vieux Sing Faye, un compatriote et camarade percussionniste. Mais, victime d'un malaise dans la matinée de mercredi, il avait été admis à l'Hôpital Le Dantec à Dakar, où il s'est éteint. En 2010, il avait indiqué à une journaliste de l'AFP avoir "quatre femmes et au moins 15 filles et 15 garçons", dont certains jouaient et/ou dansaient avec lui.
"Aujourd'hui, nous avons perdu notre père, notre ami, un grand homme, Doudou Ndiaye Rose", a déclaré à l'AFP un de ses neveux (et également son filleul), le chanteur Doudou Ndiaye Mbengue, qui a précisé que le défunt "n'a même pas été alité" et annoncé la levée du corps ce jeudi.
Né en 1930 et issu d'une famille de griots, Doudou Ndiaye Rose s'était pris de passion très jeune pour les percussions traditionnelles africaines. Une passion qu'il n'a pas abdiquée, en dépit des réticences de son père, comptable de profession. Formé par le tambour-major El hadj Mada Seck, il a appris et approfondi son art en l'enrichissant jusque dans les contrées les plus reculées du Sénégal : "Je n'ai jamais voulu jouer aveuglément! Je rencontrais les anciens pour qu'ils me transmettent ce langage très précis des percussions que tout le monde connaissait alors: comment annoncer qu'il y a un feu de brousse, qu'un serpent a piqué quelqu'un et quel genre de serpent, que la femme qui vient de se marier a rejoint la demeure conjugale et que son mari est content d'elle", avait-il expliqué. Constatant qu'il avait su apprendre "plus de 100 rythmes différents", les anciens le nommèrent un jour "chef tambour major".
Doudou Ndiaye Rose, qui avait été marqué par la présence abondante de musiciens dans les films de Tino Rossi, qu'il vit tous dans les années 1950 et qui contribuèrent à façonner son ambition, a longtemps dirigé un orchestre de plusieurs dizaines de percussionnistes. Une ambition réalisée très tôt : un an après que Josephine Baker, dont il assura la première partie d'un concert à Dakar, lui a prédit qu'il deviendrait un grand batteur, il se produit le 4 avril 1960, jour de l'indépendance du Sénégal, avec pas moins de 110 tambourinaires dans le grand stade de Dakar, devant le regretté président Léopold Sédar Senghor, qui lui avait commandé une composition jouée encore aujourd'hui lors des cérémonies de la fête nationale. Les deux hommes, deux ambassadeurs majeurs de la culture sénégalaise dans le monde, se sont d'ailleurs à maintes reprises associés lors d'événements, sur leur sol comme à l'étranger.
Doté d'un charisme fou et d'une énergie exubérante, animé jusqu'à la fin d'une vitalité juvénile, Doudou Ndiaye Rose, que Maurice Béjart avait repéré et engagé, a aussi partagé la scène avec de nombreux artistes dont Miles Davis, les Rolling Stones, Peter Gabriel, mais aussi France Gall... Il a par ailleurs collaboré comme percussionniste à la bande-son de La Dernière Tentation du Christ de Martin Scorsese, enregistré en 1993 un disque avec Alan Stivell et d'autres artistes, et a été crédité sur un album des rockeurs américains de Nine Inch Nails, pour le remix de The Warning sur l'album Zero Year Remixed.
Fondateur d'une école de percussion à Dakar comprenant pour la première fois un orchestre de femmes, il avait été classé "Trésor humain vivant" par l'Unesco en 2006, selon Aboubacar Demba Cissokho, de l'Association de la presse culturelle du Sénégal, proche de sa famille.