Georges Brassens aurait eu 103 ans ce 22 octobre 2024 et dans sept jours, le 29 octobre, on célébrera l'anniversaire de sa disparition. Cela fait quarante-trois ans que le chanteur repose, non pas sur la plage de Sète, ainsi qu'il le suppliait dans sa célèbre chanson testament, mais au cimetière de la ville. Depuis 1999, la dépouille de Joha Heiman, dite Püpchen - qui fut trente ans durant la muse et la compagne du chanteur qui vécut un temps dans un étonnant ménage à trois - est inhumée à ses côtés dans ce tombeau où gisent aussi les dépouilles de Simone Cazzani, la demi-soeur de Brassens et son mari Yves.
Ce sont là les plus proches parents du chanteur. Dans son dernier testament, daté du 21 janvier 1981, Brassens avait légué les droits d'auteur, son droit moral et ses biens immobiliers à sa soeur Simone. Au décès de cette dernière, en 1994, c'est son fils, Serge Cazzani, un Sétois désormais âgé de 78 ans, qui est devenu l'unique héritier de l'artiste. Depuis, aidé de ses filles, Ève notamment, il gère ce patrimoine ainsi que la mémoire de la figure de la chanson française. Et la mission n'est pas de tout repos. En dépit des multiples années qui se sont écoulées depuis la disparition de Brassens, des oeuvres ou objets que l'interprète de L'Auvergnat a laissés à la postérité font encore aujourd'hui l'objet d'une âpre querelle.
Le 17 janvier 2024, une audience se tenait au tribunal judiciaire à Paris afin de tenter d'y voir plus clair dans une affaire de biens ayant appartenu aux chanteurs. Une histoire dont la compréhension nécessite de se plonger dans le passé de l'artiste.
Si l'auteur des Copains d'abord n'a jamais eu d'enfants, il ne manquait pas d'amis. Il rencontre l'un d'eux, Pierre Onténiente, à Basdorf, en Allemagne, en 1943 où tous deux ont été appelés dans le cadre du STO (Service du travail obligatoire). Ils ne se sépareront plus. Onténiente, aussi surnommé Gibraltar, va devenir l'homme de confiance du chanteur, à la fois son secrétaire, son comptable, et même son associé dans Les éditions musicales 57, structure destinée à gérer les droits d'auteur et publier textes et partitions de Brassens, qui sera plus tard rachetée par Universal.
Est-ce pour remercier de sa fidélité cet homme qui l'aura accompagné une grande partie de sa carrière ? Le tout est que Brassens lui lègue dès la fin des années 60 maison dans laquelle il écrivit ses premières chansons située impasse Florimont dans le 14ème arrondissement de Paris, une demeure qu'il a habitée de 1944 à 1966. Une maison beaucoup plus modeste et petite que celle que Brassens s'était offerte en Bretagne, face à la mer.
À la mort de Pierre Onténiente, en 2013, sa fille Françoise récupère ce bien immobilier mais se retrouve aussi en possession des biens qui s'y trouvaient ainsi que de ceux que son père avait, au fil des années, récupérés ou collectionnés, parmi lesquels des lettres, des partitions, une guitare, de vieilles pipes en bois mais aussi un cahier de chanson, sur lequel Brassens écrivait. Des objets, qui vont donner lieu à une guerre qui n'en finit pas.
Elle débute en cette même année 2013 lorsque la famille Cazzani met en demeure madame Onténiente de restituer les biens ayant appartenu à leur aïeul. Demande à laquelle elle ne donne pas suite. "Brassens était quelqu'un qui n'accordait pas beaucoup d'importance aux biens matériels, explique à Purepeople Maître Alexis Fournol, l'avocat de Mme Onténiente. Il donnait volontiers des brouillons, des manuscrits et d'autres objets à ses amis. Il disait même qu'il les offrait comme des bouquets de fleurs. De son côté, Pierre Onténiente conservait tout, presque comme un collectionneur acharné. La question est de savoir si, en 1981, au décès de Brassens, ces objets faisaient encore partie de son patrimoine ou s'ils appartenaient déjà à Pierre Onténiente."
"Il n'y a pas d'inventaire précis, poursuit le défenseur de Françoise Onteniente, mais nous savons qu'en 1981, Pierre possédait déjà ces objets chez lui. Jusqu'à son décès en 2013, ces objets ont été montrés, prêtés et accessibles au public. Ils ont même été exposés en 2013 à la Villette sous l'intitulé "Collection Pierre et Françoise Onténiente". En outre, avant le décès du père de ma cliente, en 2013, il n'y a jamais eu de demande de restitution de ces objets de la part de Serge Cazzani ou de sa mère, Simone. Selon moi, ces objets appartiennent donc à ma cliente. En 2016, à l'issue d'une procédure pénale intentée par la famille Cazzani, aucune infraction n'était caractérisée selon le Parquet", souligne l'avocat de Françoise Onténiente.
En octobre 2022, l'affaire rebondit. L'hôtel Drouot héberge la vente aux enchères exceptionnelle de 404 lots. Ils correspondent à des objets dont Françoise Onténiente veut se séparer. La BnF, le Mucem de Marseille et la ville de Sète font alors part de leur intérêt. Valeur estimée de l'ensemble des biens : entre 600 000 et 900 000 euros. Mais la vente n'aura jamais lieu !
La famille Cazzani, considérant que ces biens n'appartiennent pas à Françoise Onténiente, obtient, lors d'un jugement en référé, l'interdiction de la vente. Ils demandent en outre la restitution des biens. "Ces lots sont la collection personnelle de l'artiste et donc notre propriété", assurait alors Ève Cazzani à nos confrères du Figaro.
"Parmi ces biens, précise de son côté Maître Fournol, il y a des documents autographes, une guitare, des médiators de Georges Brassens, mais aussi de nombreux objets que Pierre Onténiente avait acquis après le décès de Brassens en 1981. Par exemple, des éléments commémoratifs ou des livres rendant hommage à Brassens. Certains datent de 1983, 1996 ou même 2000. Nous nous interrogeons sur la revendication de la propriété de ces objets par M. Cazzani, surtout pour ceux qui datent d'après 1981 et qui n'ont jamais appartenu à Georges Brassens".
Maître Fournol pointe du doigt un autre fait. "La famille Cazzani dit vouloir donner ces objets à des musées ou bibliothèques. Mais pourquoi ne commencent-ils pas par donner ceux qu'ils possèdent déjà ? Pourquoi vouloir être généreux avec le patrimoine de quelqu'un d'autre plutôt que de donner ce qui leur appartient ?"
Conséquence de ces exigences contradictoires, la justice a placé sous séquestre tous les biens et va tenter d'y voir plus clair. L'audience du 17 janvier dernier n'a apporté aucune solution. Les faits y ont seulement été rappelés. Et dans un cas pareil, pour reprendre des mots du chanteur, Le temps ne fait rien à l'affaire...
"Ça peut durer des années", déplore un proche de la famille Cazzani dont les défenseurs, joints pas Purepeople, n'ont pas souhaité faire de commentaire. L'avocat de Mme Onténiente fait lui aussi le voeu que la situation soit vite résolue, regrettant que le public soit privé de ces précieux documents qui dorment au Palais de Justice. La semaine dernière, cette même justice a établi un nouveau calendrier : prochaines échéances de l'affaire : fin 2025, début 2026...
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