La commune ne compte que 2000 habitants. Un village donc. Pour autant, le nom d'Astaffort, petite bourgade située non loin d'Agen, est connu bien au-delà des frontières du Lot-et-Garonne. La douceur de vivre de la vallée de la Garonne n'est sans doute pas étrangère à sa notoriété, comme le fait qu'elle ait vu naître Alain Aspect, prix Nobel de physique 2022 ainsi que le rappelle à Purepeople Paul Bonnet, le maire de la municipalité. Mais si le nom d'Astaffort résonne de façon familière, notamment aux oreilles des mélomanes, c'est surtout parce que depuis près de 71 ans, qu'il célèbre ce 23 novembre, y réside, dans une grande maison au milieu des vignes, un des artistes les plus populaires de France : Francis Cabrel.
"J'ai dix ans de moins que lui, mais on a grandi ensemble," relève le premier magistrat. "On a même été conseillers municipaux tous les deux dans les années 90. Francis Cabrel, à Astaffort, c'est un citoyen comme les autres."
Comme les autres ? Enfin presque. Quarante ans de carrière, 25 millions de disques vendus, quatorze albums studios, il a chanté avec Balavoine et Coluche pour l'Ethiopie, a fait des duos avec Goldman ou Vanessa Paradis et laissé à la postérité des tubes inaltérables comme L'encre de tes yeux ou Je l'aime à mourir que diffusent encore en boucle des radios. Quant au clip de sa dernière création, Un morceau de sucre, hommage à la ville de Toulouse, il a été vu plus d'1,5 millions de fois sur YouTube. Le parcours de l'artiste est extraordinaire.
Vianney, BigFlo et Oli ou encore Julien Doré, sont venus chanter ici grâce à Francis Cabrel
Mais l'homme, lui, qui est-il ? Qui est Francis Cabrel lorsque les lumières de la scène s'éteignent, que les tournées s'arrêtent et qu'il regagne cette terre où ses parents, comme des centaines d'immigrés italiens, sont venus élire domicile au milieu du siècle dernier, fuyant le fascisme de Mussolini et venant reconstituer une main d'oeuvre agricole que la grande guerre avait décimée ?
"Tout le monde le connaît, tout le monde lui dit "bonjour" et il dit "bonjour" à tout le monde. Pour nous, c'est pas Cabrel, c'est Francis," raconte Eric, qui se décrit comme un Astaffortais de toujours. Il poursuit : "Je me souviens quand lui ou sa femme Mariette -NDRL La "Petite Marie" de la chanson avec qui il est en couple depuis plus de 50 ans- emmenait ses enfants à l'école, on le voyait tous les jours. Evidemment, ses filles ont grandi mais on le voit quand même régulièrement dans le village, notamment lors d'événements musicaux..."
"Il est très investi dans l'école de musique," confirme M. le maire qui se réjouit d'avoir sur sa commune une telle figure. "Il fait tellement pour le village. Il organise des stages plusieurs fois par an via son association Les Voix du Sud poursuit l'élu, et régulièrement, ses spectacles se concluent par des concerts. Vianney, BigFlo et Oli ou encore Julien Doré, -qui vient de faire une révélation inquiétante pour ses fans- sont venus chanter ici. C'est grâce à lui. Idem si on a une salle de spectacle de 600 places. C'est une immense chance pour nous. Et puis il y a ce qu'on sait moins, parce qu'il est discret mais notre médiathèque, par exemple, est installée dans un bâtiment qui lui appartient et qu'il met à disposition de la ville."
On serait fiers de le servir, ce serait sympa qu'il vienne
Si de nombreux habitants sont heureux de vivre si proche d'une telle célébrité, d'autres sont moins enthousiastes. "Je ne l'ai vu qu'une ou deux fois dans mon bar restaurant, il était avec des invités," se remémore Cédric, le patron. "On le voit dans le village, on le voit aller à la pharmacie, mais il n'est pas du genre à venir boire un verre comme ça le soir, c'est dommage," déplore le commerçant.
À défaut de boire des coups, le troubadour aquitain consomme sans doute du pain. "Pas le nôtre, ou alors c'est pas lui qui vient l'acheter," constate Nicolas, qui tient la boulangerie Le Fournil de l'Abbé. "Je ne l'ai vu qu'une seule fois, il y a trois ans environ, avec un masque. Philippe, son frère, vient chez nous, mais Francis Cabrel, je ne sais pas où il prend son pain et mon collègue de la boulangerie d'à côté me dit qu'il ne le voit pas non plus. On serait pourtant fiers de le servir, ce serait sympa qu'il vienne, d'autant que je travaille à l'ancienne. Avant, on fournissait son restaurant (que tenait sa fille Aurélie NDR), mais il a fermé ses portes. Heureusement, on travaille bien lors des événements de son association."
Francis Cabrel a beau être un artiste, cet heureux papa de trois filles, ne peut pas se nourrir uniquement de musique. La direction du supermarché local le confirme à Purepeople. "Lui vient de temps en temps faire quelques courses, mais c'est plutôt sa femme qu'on voit. Vous savez, Francis Cabrel, à Astaffort, il n'embête personne, et personne ne l'embête. Il est très gentil, toujours là quand la ville a besoin de lui. C'est un artiste qui a besoin de calme et on le lui donne."
Discret Cabrel ? Assurément. Un peu trop même aux yeux de Jean-Claude Bertrand, un peintre qui vit au village mais qui expose un peu partout en France ou à l'étranger. "Ça fait 20 ans que je suis installé ici, j'ai un grand atelier. Il n'y a jamais mis les pieds," note-t-il. "J'ai exposé une fois dans son chais parce que son frère et lui ont des vignes et qu'ils organisent parfois des événements mais c'était par le biais d'une connaissance commune. Il était gentiment venu me voir, m'avait présenté son épouse mais je n'ai pas senti chez lui un attrait particulier pour l'art pictural. Je le regrette un peu. Je comprends qu'il n'ait pas envie de se mêler à la foule, mais j'apprécierais qu'il passe à l'improviste dans mon atelier. D'autant que la musique a beaucoup inspiré mes oeuvres. Des jazzmen ont même improvisé sur mes toiles. Moi, j'apprécie ce que Cabrel fait, j'aimerais que lui soit plus curieux. Il a une grande sensibilité, j'en suis sûr, j'aimerais discuter avec lui de choses artistiques. Mais c'est comme s'il était enfermé dans son univers..."
"Sa discrétion, couplée à un côté pince-sans-rire, peut donner l'impression d'un homme un peu distant, tempère un habitant du village. Mais il ne faut pas oublier qu'il a vécu toute sa vie là, c'est là que vivait sa mère Denise, -disparue récemment- là que vivent encore son frère, sa soeur et sa fille. Astaffort, c'est chez lui : il y a ses amis, -là ou à Agen-, et il n'a pas envie d'y faire de la représentation, chose qu'il n'aime pas faire de toute façon. C'est d'ailleurs pour ça que sa présence médiatique est si rare. Il se montre quand il en a envie, lors d'événements musicaux essentiellement, et dans ces cas-là, il est toujours disponible et généreux, n'hésitant pas à prendre sa guitare ou à chanter. Il faut aussi garder en tête qu'il est certainement l'artiste, voire le citoyen, le plus fortuné de la région. On ne prête qu'aux riches, dit-on. Cela vaut peut-être aussi pour les mauvaises intentions..."