Moins d'un an après avoir publié ses sulfureux mémoires, Strass et voyous, où se côtoient les plus grandes stars pour qui il joua souvent le rôle d'entremetteur, le dernier parrain corse a passé l'arme à gauche. François Marcantoni avait 90 ans. Il est mort dans son sommeil mardi matin, à l'aube, à l'hôpital du Val de Grâce (Paris Ve), où, souffrant de crises d'asthme et de crises d'angoisse, il avait été admis pour une série d'examens. C'est en sa qualité d'ancien résistant décoré que François Marcantoni avait intégré l'hôpital parisien d'instruction des armées : ancien artificier, il était passé dans la clandestinité et avait rejoint la Résistance en 1942 après avoir été convoqué au service du travail obligatoire ; de janvier 1943 à mai 1944, il oeuvra au sein des Forces Françaises de l'Intérieur et fut notamment détenu et torturé par la Gestapo.
Truand mondain et médiatique (émission télé, interviews...), légende du Milieu dont il exposa certaines des coulisses, François Marcantoni consacra ses dernières années à la rédaction d'ouvrages autobiographiques, dans lesquels il dévoila les secrets d'une vie entre jet set et "affaires" : après Monsieur François (Le milieu et moi de A à Z) et Un homme d'honneur (De la Résistance au milieu), il publiait à l'automne ses "archives", l'édifiant Strass et voyous, riche en anecdotes mondaines, écrit en collaboration avec Christian Chatillon, spécialiste de l'interview de haut vol, et préfacé par Jean-Paul Belmondo.
François Marcantoni sera inhumé à Toulon en début de semaine prochaine. Aux obsèques, on pourrait bien apercevoir, à l'instar de ses mémoires, du beau monde. Au premier rang, Alain Delon : c'est d'ailleurs à Toulon que les deux hommes s'étaient rencontrés, en 1953, au retour d'Indochine de la future star de cinéma, et ils nouèrent une solide amitié qui continua de s'épanouir dans la sphère show-biz où Delon introduisit Marcantoni. Sur ses amis Bébel et Delon, il déclarait en 2009, dans les colonnes de Corse-Matin : "Jean-Paul est un homme facétieux, extraverti, alors qu'Alain a une apparence froide et hautaine, mais au fond, c'est un homme d'une profonde gentillesse."
Le surnom de Monsieur François reste également indissolublement attaché à un scandale d'Etat dans lequel s'abîma la Ve République : l'affaire Markovic, du nom du garde du corps yougoslave de son ami Alain Delon. Un faits divers, dans lequel Marcantoni tint le profil du coupable idéal (notamment en raison d'une correspondance de Markovic : "Si je suis assassiné, ce sera à 100% la faute d'Alain Delon et de son parrain François Marcantoni"), qui se transforma en affaire d'Etat avec la révélation de photos compromettantes impliquant de hauts dignitaires et l'épouse de Pompidou dans des parties fines en haut lieu. Marcantoni, écroué pendant près d'un an, sera libéré sous contrôle judiciaire en 1969 et obtiendra un non-lieu faute de preuves en 1976.
Fin 2009, dans un entretien accordé au quotidien Corse-Matin, il évoquait brièvement l'affaire ("Markovic a emporté ses secrets dans la tombe. J'aimerais qu'il soit Lazare pour lui dire : Lève-toi, parle, et ne m'emmerde plus !") et empruntait un bon mot classe pour comparer classe politique et Milieu : "Je souscris au mot d'Edouard Herriot : la politique, c'est comme l'andouillette, ça doit sentir un peu la merde mais pas trop. Georges Pompidou avait dit à mon avocat : " Si Marcantoni avait été un salaud, je n'aurais pas été Président ". Il a ajouté qu'un jour, il me renverrait l'ascenseur. Je l'attends encore..."
Truculent et dépositaire d'une mémoire absolument unique sur des décennies de coulisses du gotha, le Corse boîteux, le Commandant (pour sa position d'autorité reconnue au sein du Milieu), le bandit flamboyant, si souvent passé au travers des mailles du filet et que Nicolas Sarkozy, après la reconnaissance de la Nation accordée en 2007, souhaita il y a quelques semaines décorer de la Légion d'honneur (selon une annonce faite au mois de mai par France-Soir), ne racontera plus d'histoires. Ni celles du résistant, ni celles du truand, ni celles de l'ami des géants (d'Ava Gardner à Romy Schneider - qui pleura sur ses genoux -, de Martine Carol à Brigitte Bardot, de Jean Marais à Lino Ventura...).
Pour quelques ultimes anecdotes livrées avec ses propres mots, nous ne saurions trop vous inviter à lire l'interview réalisée en novembre 2009 par Corse-Matin, en cliquant ici.
G.J.