Tout juste un an après la disparition à 69 ans d'Alan Rickman, l'Angleterre et le septième art pleurent un autre monstre sacré de la même génération - qui avait d'ailleurs eu l'occasion de le croiser dans la saga Harry Potter : John Hurt est mort mercredi 25 janvier 2017 à son domicile de Cromley dans le Norfolk, trois jours après son 77e anniversaire, ont fait savoir son agent Charles McDonald et sa quatrième et dernière épouse, Anwen Hurt.
L'acteur à la filmographie impressionnante, riche de près de 140 longs métrages dont le fameux Elephant Man qui lui valut une nomination à l'Oscar du meilleur acteur, et à la voix caverneuse reconnaissable entre toutes (narrateur de Dogville et Le Parfum entre autres, mais aussi voix du Grand Dragon dans la série Merlin) s'est éteint vraisemblablement des suites du cancer du pancréas qu'il avait affronté en juin 2015 et qui avait été déclaré en rémission en octobre de la même année. A l'époque, il s'était montré philosophe : "Je ne peux pas dire que je me soucie du fait de devoir mourir, mais il est impossible d'arriver à mon âge et de ne pas le méditer un tant soit peu", avait-il observé dans un entretien avec Radio Times. La maladie n'avait pas altéré sa passion dramatique et son désir de travailler (il avait toutefois été contraint de renoncer en juillet dernier à jouer une pièce à Londres en raison de douleurs intestinales), aussi bien pendant son traitement qu'après : alors qu'on pourra tout prochainement (à partir du 1er février en salles) l'apprécier en prêtre dans Jackie, avec Natalie Portman dans le rôle-titre, trois films incluant sa contribution doivent encore sortir, dont le drame historique Darkest Hour (sortie prévue en novembre 2017) qui le voit camper Neville Chamberlain en pleine Seconde Guerre mondiale, face à Gary Oldman en Churchill et Ben Mendelsohn en George VI.
Né le 22 janvier 1940 près de Chesterfield, au coeur de l'Angleterre, d'une mère ingénieur et actrice amateure et d'un père mathématicien devenu pasteur, John Hurt avait reçu une éducation stricte. Si stricte qu'il lui était interdit de se mêler aux autres enfants et d'aller voir des films au cinéma situé juste en face du domicile familial ! Pourtant, dès l'âge de 8 ans, le jeune garçon, alors dans une école primaire anglicane (il a par la suite révélé y avoir subi des abus commis par le maître d'école Donald Cormack), se découvre une passion pour la comédie et décide qu'il sera acteur.
Une vraie vocation qui triomphera des brimades, quatre ans plus tard, de son principal dans une autre école : l'homme avait raillé les rêves du jeune John, lui affirmant qu'il n'avait "pas la moindre chance dans la profession". Tenace de toute évidence, John Hurt s'inscrit à 17 ans dans une école d'art, envisageant de devenir professeur de dessin, qu'il abandonne ensuite. Sans le sou et vivant dans des conditions précaires, il décroche une bourse qui lui permet d'aller étudier à la Royal Academy of Dramatic Art à Londres. Une expérience coûteuse, dont il gardait un souvenir terrible - parfois si affamé qu'il avait du mal à dire son texte -, qu'il financera en demandant à des amis de poser pour des portraits de nu qu'il vendra.
Tous les moyens sont bons pour accomplir sa volonté et cela paye : après un tout premier film en 1962 vient en 1966 son premier rôle principal, dans une production intitulée A Man for All Seasons. Sa carrière est lancée et s'enrichira dès 1971 d'une première nomination au BAFTA Award du meilleur acteur dans un second rôle pour 10 Rillington Place. En 1978, il remporte ce trophée ainsi qu'un Golden Globe et une nomination à l'Oscar pour Midnight Express d'Alan Parker, dans lequel il joue un héroïnomane emprisonné en Turquie. L'année suivante, il joue Kane dans le premier volet de la saga culte Alien (rôle qu'il reprendra dans... une parodie, Spaceballs) et, en 1980, décroche le grand rôle de sa carrière : celui du difforme John Merrick dans Elephant Man de David Lynch, qui lui vaut un autre BAFTA Award (du meilleur acteur, cette fois).
Même si sa filmographie a continué à s'étoffer régulièrement par la suite (Champions, The Hit, The Field, Dead Man, Amour et mort à Long Island, Les âmes perdues, Le Défi...), les jeunes générations connaissent surtout John Hurt pour sa participation à la saga Harry Potter : en 2001, dans le premier volet (Harry Potter à l'école des sorciers), il prête ses traits au marchand de baguettes, Mr. Ollivander, qu'on reverra ensuite dans les deux épisodes Harry Potter et les reliques de la mort (entre-temps, ses scènes dans Harry Potter et la Coupe de feu ont été coupées). Impérieux en 2006 dans le sombre V for Vendetta adapté du comic éponyme, John Hurt s'illustre encore en 2008 dans Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal et en 2013 dans Snowpiercer (Le Transperceneige).
Récompensé lors des 65e British Academy Film Awards (2012) pour l'ensemble de ses six décennies de carrière, également prolifique en télévision, et en 2014 par la Shakespeare Theatre Company, John Hurt, commandeur dans l'ordre de l'empire britannique depuis 2004, avait été anobli en 2015 par la reine Elizabeth II au cours d'une cérémonie au château de Windsor.
John Hurt a été marié à plusieurs reprises, d'abord brièvement (1962-1964) avec l'actrice Annette Robertson, puis, après une longue histoire avec le mannequin français Marie-Lise Volpeliere-Pierrot (décédée en 1983 suite à une chute de cheval), avec une autre actrice, Donna Peacock, de 1984 à 1990, et, en troisièmes noces (1990-1996), avec l'assistante de production Joan Dalton, rencontrée sur le tournage de Scandal. Les deux seuls enfants de l'acteur sont issus de cette union : Alexander et Nicholas, respectivement 27 et 24 ans le mois prochain. Outre ses deux garçons, l'acteur britannique laisse derrière lui sa quatrième femme, Anwen Rees-Meyers, épousée en 2005.
Et beaucoup d'admirateurs attristés de voir un artiste si exemplaire tirer sa révérence.
GJ