Il a brillé dans les médias pour avoir remporté le prix Goncourt 2024 avec son livre Houris. Cependant, l'heure est désormais au scandale. L'écrivain franco-algérien Kamel Daoud et son épouse psychiatre sont accusés d'avoir utilisé l'histoire d'une patiente pour l'écriture de ce roman acclamé. Ils sont au coeur d'une polémique qui prend de l'ampleur en Algérie avec l'annonce mercredi 20 novembre 2024 du dépôt de deux plaintes à leur encontre selon l'AFP.
"Dès la publication du livre, deux plaintes contre Kamel Daoud et son épouse Aicha Dehdouh, la psychiatre qui a soigné la victime", Saâda Arbane, ont été déposées à Oran (ouest), lieu de résidence de Kamel Daoud et son épouse en Algérie, a précisé à l'AFP l'avocate Fatima Benbraham. Saâda Arbane, survivante d'un massacre pendant la guerre civile en Algérie dans les années 1990, accuse l'écrivain et sa femme d'avoir dévoilé son histoire sans son consentement.
"La première plainte a été déposée au nom de l'Organisation nationale des victimes du terrorisme" et "la seconde au nom de la victime", a précisé Me Benbraham, assurant que leur dépôt remonte au mois d'août, "quelques jours après la parution du livre", bien avant l'attribution début novembre du Prix Goncourt au roman. "Nous n'avons pas voulu en parler afin qu'il ne soit pas dit que nous voulions perturber la nomination de l'auteur pour le prix", a-t-elle déclaré.
Selon cette avocate connue en Algérie, les plaintes portent sur "la violation du secret médical, puisque le médecin (l'épouse de M. Daoud, ndlr) a remis tout le dossier de sa patiente à son mari, ainsi que sur la diffamation des victimes du terrorisme et la violation de la loi sur la réconciliation nationale", qui interdit toute publication sur la "décennie noire" de guerre civile entre 1992 et 2002.
Kamel Daoud et sa femme ont-ils violé l'intimité d'une victime ?
Vendredi dernier, Saâda Arbane était apparue sur la chaîne de télévision One TV, affirmant que l'histoire du roman Houris est la sienne. Cette rescapée d'une tentative d'égorgement par des islamistes armés a dit avoir reconnu des éléments de sa vie: "sa canule (pour respirer et parler, ndlr), ses cicatrices, ses tatouages, son salon de coiffure".
Saâda Arbane a cité d'autres informations très personnelles comme sa relation avec sa mère ou sa volonté d'avorter. Elle dit les avoir confiés, lors d'une thérapie en 2015, à sa psychiatre qui a depuis épousé Kamel Daoud, et dénonce "une violation de (son) intimité".
Selon elle, la femme de Kamel Daoud l'aurait invité il y a trois ans pour un café chez elle et, à cette occasion, l'écrivain lui aurait demandé s'il était possible de raconter son histoire dans un roman, ce qu'elle dit avoir refusé.
Kamel Daoud n'a pas répondu à ces accusations, mais son éditeur français Gallimard, a dénoncé lundi les "violentes campagnes diffamatoires orchestrées (contre l'écrivain) par certains médias proches d'un régime dont nul n'ignore la nature".
"Si Houris est inspiré de faits tragiques survenus en Algérie durant la guerre civile des années 1990, son intrigue, ses personnages et son héroïne sont purement fictionnels", a affirmé Gallimard.
Le roman, qui se déroule à Oran, raconte l'histoire d'une jeune femme qui a perdu l'usage de la parole lors d'un massacre le 31 décembre 1999, pendant la guerre civile qui a fait 200 000 morts, selon des chiffres officiels.
Si en France, Kamel Daoud est encensé, en Algérie, l'écrivain également chroniqueur pour Le Point est vu comme quelqu'un qui a trahi la cause palestinienne, sacrée pour les Algériens, afin de faire carrière en France. Beaucoup considèrent que le Goncourt a été une récompense politique, pas littéraire.
Avec cette nouvelle polémique, le fossé entre Kamel Daoud et de nombreux Algériens actifs sur les réseaux sociaux s'est creusé. "Je vous rappelle que dans cette affaire, la première victime du terrorisme (et celle qui devrait avoir notre solidarité et notre soutien) c'est Saâda, seule rescapée d'un massacre, laissée pour morte", écrit sur Facebook Abdellah Benadouda, une activiste.
La féministe Hanane Trinel a déploré pour sa part une affaire qui "risque de briser la confiance déjà fragile entre les femmes et les professionnels de santé". "Il y a eu tant de chemin parcouru en termes de prise de conscience de la nécessité d'un suivi psychologique pour les femmes victimes de violences en Algérie, cet abus risque de porter préjudice à ce progrès", a-t-elle écrit sur Facebook.