Au royaume des plagiats, la bonne foi n'a pas toujours force de loi, et il est difficile pour la justice de s'accorder à l'unisson sur les éventuels "emprunts". Mais lorsque la vérité musicale, flagrante, saute aux tympans, les conséquences s'avèrent remarquables : pour avoir spolié treize titres de Dark Sanctuary, un groupe gothique parisien méconnu en nos frontières et officiant dans un registre pointu (ethereal/néoclassique gothique, courants dérivés du Darkwave), Bushido (Anis Mohamed Youssef Ferchichi, de son vrai nom), LA superstar du rap allemand, vient de se voir condamner à faire retirer de la vente pas moins de onze de ses albums, sur lesquels figurent les 13 titres incriminés, et à verser aux plaignants la somme de 67 000 euros.
Né en 1996, Dark Sanctuary a fait ses adieux à la scène en octobre dernier, à Londres (à St Pancras), et comptait alors dans ses rangs le fondateur et claviériste Arkdae, Hylgaryss, Sombre Cÿr, Eliane, Alexis et la chanteuse Dame Pandora (qui prit le relais de Marquise Ermia au début des années 2000). L'Etre Las - L'Envers du miroir, troisième album de la formation, lui assura une certaine visibilité en France, mais aussi et surtout en Allemagne : à partir de là, c'est chez nos voisins germaniques que Dark Sanctuary enregistrera ses productions et s'affirmera occasionnellement sur scène, notamment lors du Wave-Gotik-Treffen à Leipzig (le festival dédié au dark). Ce qui explique probablement que Bushido (un pseudo emprunté au fameux code moral des samouraïs, fondé sur l'honneur et la loyauté...), forcément en quête permanente de samples pour ses morceaux, ait un jour découvert le travail des Français. Sauf que le samplage obéit d'ordinaire à un processus de production "propre" : exploiter treize mélodies à l'insu de ses compositeurs, c'est effectivement de la malhonnêteté à l'état pur, et le tribunal de Hambourg a donné raison à Dark Sanctuary et son label italien, Wounded Love Records, avérant l'utilisation abusive de "mélodies protégées par le droit d'auteur".
Si elle a un retentissement commercial et judiciaire, l'affaire ne devrait pour autant pas causer un préjudice colossal à Bushido, tant la réputation que s'est forgée le rappeur vedette est sulfureuse : régulièrement mêlé à des polémiques notamment liées à la virulence de ses paroles, volontiers sexistes, homophobes ou racistes, le meilleur vendeur du hip hop allemand, maintes fois récompensés (plusieurs Echo awards - la spécialité nationale -, plusieurs European Grammy Awards) et protagoniste d'un biopic présenté en février 2010 dans lequel il tenait son propre rôle (Zeiten ändern Dich), n'en est d'ailleurs pas à sa première affaire de plagiat. Fin 2007, il avait ainsi été condamné à payer des droits d'auteur à un groupe de dark-metal norvégien (Dimmu Borgir), et avait à nouveau été attaqué l'années suivante par le groupe américain Nox Arcana pour des faits similaires.
Dark Sanctuary avait assigné le gangsta-rappeur en justice dès 2008, au regard de son album Von der Skyline zum Bordstein (littéralement : De l'horizon au bord du trottoir), paru en 2006, mettant notamment en cause les morceaux Sex in the City, Bloodsport, Goldrapper, Janine, Es ist ok, Träne aus Blut...
Dans le rapport qu'il rendit, le Dr. Hartmut Fladt, expert en musicologie, affirmait qu'il n'avait "jamais constaté un pillage aussi éhontée d'une source protégée par des droits d'auteur que dans ce cas précis". Et c'est finalement une condamnation logique, quoique clémente, qui contraint Bushido à retirer ses albums de la vente et à verser 63 000 euros à Dark Sanctuary pour avoir repris à l'identique (démonstration flagrante avec la comparaison entre Les Mémoires blessées de Dark Sanctuary et Janine de Bushido, que nous vous proposons ci-dessus) des mélodies du groupe pour y apposer ses textes.
La lumière a été faite pour Dark Sanctuary quant au bullshitage de Bushido.
Guillaume Joffroy