Récompensé par une Palme d'or dimanche 26 mai en clôture du Festival de Cannes, La Vie d'Adèle est depuis sa présentation en compétition quelques jours plus tôt, sous le feu des projecteurs. Discrète depuis le processus de création du film, oubliée en plein discours par le réalisateur même du film qui a préféré rendre hommage au mouvement de liberté qui habite le pays de ses origines (la Tunisie), l'auteure de la bande dessinée dont le film est l'adaptation, Le bleu est une couleur chaude, Julie Maroh, réagit enfin sur son blog, Les Coeurs exacerbés.
C'est l'occasion pour elle de revenir sur la volonté qui l'animait au moment de créer "une ridicule histoire l'été de [ses] 19 ans", sur sa collaboration avec Abdellatif Kechiche, sur sa réaction quant au film, ainsi que sur la Palme d'or glanée par le film à Cannes 2013.
Origines
Lorsqu'elle écrit et dessine "Le Bleu", comme elle nomme sa BD, Julie Maroh veut s'intéresser à "la banalisation de l'homosexualité". Pour elle, "il s'agissait de raconter comment une rencontre se produit, comment cette histoire d'amour se construit, se déconstruit, et ce qu'il reste de l'amour éveillé ensemble, après une rupture, un deuil, une mort". Et d'après la jeune auteure, "c'est cela qui a intéressé Kechiche". La jeune femme se défend d'avoir eu une "intention militante" à l'heure où le film La Vie d'Adèle fait écho à la lutte pour l'égalité des droits.
"C'était son film à lui"
"Kechiche et moi nous sommes rencontrés avant que je n'accepte de lui céder les droits d'adaptation, raconte Julie Maroh. C'était il y a plus de deux ans." Avouant son "affection et l'admiration" pour le travail du réalisateur de La Graine et le Mulet, Julie Maroh concède surtout avoir "stipulé dès le départ qu'[elle] ne voulait pas prendre part au projet, que c'était son film à lui". Pour autant, La Vie d'Adèle est "un coup de maître", un film doté d'une intrigue "cohérente, fluide et justifiée" selon Julie Maroh. "N'allez pas le voir en espérant y ressentir ce qui vous a traversés à la lecture du Bleu. Vous y reconnaîtrez des tonalités, mais vous y trouverez aussi autre chose", prévient-elle.
Ce qu'il manquait sur le plateau ? "Des lesbiennes"
Même si Julie Maroh n'a pas pris part au processus de production du film, elle ne s'empêche pas de partager son avis quant à l'adaptation. Pendant que les techniciens racontent les conditions déplorables sur le plateau de tournage, Julie Maroh évoque un autre impair d'Abdellatif Kechiche : se reconnaissant un "traitement esthétique opposé" à celui du cinéaste, elle regrette cependant que Kechiche n'ait pas consulté de lesbiennes avant de tourner les scènes de sexe du film. Elle taxe ainsi ces quelques scènes d'être un "étalage brutal et chirurgical, démonstratif et froid du sexe dit lesbien, qui tourne au porn, et qui [l'a] mise très mal à l'aise", des scènes "pas crédibles". Pour Julie Maroh, "les seuls qu'on n'entend pas rire, ce sont les éventuels mecs qui sont trop occupés à se rincer l'oeil devant l'incarnation de l'un de leurs fantasmes".
"Je ne vois pas le film comme une trahison"
"J'ai perdu le contrôle sur mon livre dès l'instant où je l'ai donné à lire. C'est un objet destiné à être manipulé, ressenti, interprété." Sans opportunisme, malgré la Palme d'or qui fait grand bruit depuis sa remise, JulieMaroh a donc tenu à réagir. "Voilà deux semaines que je repousse ma prise de parole quant à La Vie d'Adèle", argue-t-elle. À l'heure où Kechiche et ses deux actrices - Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos - savourent le triomphe cannois sans elle, Julie Maroh "n'en garde pas d'amertume", bien au contraire. Évoquant une conclusion "évidemment magnifique, à couper le souffle", l'auteure préfère rappeler que "c'était la première fois dans l'histoire du cinéma qu'une bande dessinée avait inspiré un film Palme d'or".
La mise au point qui fait mal
Pourquoi Abdellatif Kechiche n'a-t-il pas remercié Julie Maroh en recevant sa Palme d'or ? La jeune femme écrit à ce sujet : "Je tiens à remercier tous ceux qui se sont montrés étonnés, choqués, écoeurés que Kechiche n'ait pas eu un mot pour moi à la réception de cette Palme", lâche-t-elle. Même si elle ne "doute pas qu'il [Kechiche] avait de bonnes raisons de ne pas le faire", elle égratigne la production, celle-là même qui ne l'a pas rendue "visible sur le tapis rouge à Cannes alors que [elle] avait traversé la France pour [se] joindre à eux, de ne pas [la] recevoir – même une heure – sur le tournage du film, de n'avoir délégué personne pour [la] tenir informée du déroulement de la prod' entre juin 2012 et avril 2013, ou pour n'avoir jamais répondu à [ses] messages depuis 2011".
Malgré tout, Julie Maroh raconte que le soir de la projection officielle du film, Abdellatif Kechiche lui a serré la main très fort en lui disant : "Merci, c'est toi le point de départ."