Le 66e Festival de Cannes a refermé ses portes à l'occasion d'une cérémonie de clôture forte en émotion. Le jury de Steven Spielberg y a décerné sa Palme d'or au sulfureux film d'Abdellatif Kechiche, La Vie d'Adèle, déjà grand favori de la critique. Un triomphe à l'image d'un cinéma français omniprésent cette année dans les sélections et remarqué dans les différents palmarès, de Bérénice Bejo (prix d'interprétation féminine pour Le Passé) à Guillaume Gallienne (double récompense à la Quinzaine des réalisateurs) en passant par Alain Guiraudie (Queen Palm pour L'Inconnu du lac). Retour sur les grands vainqueurs de ce Festival de Cannes 2013.
En plein rêve
Fait suffisamment rare pour être remarqué, Steven Spielberg a décerné sa Palme d'or non pas au réalisateur, mais plus largement au cinéaste ainsi qu'à ses actrices, "Léa et Adèle" comme il les nomme au moment d'annoncer le verdict tant attendu. Film d'amour sur l'éducation, les clivages sexuels et la libération d'un corps comme d'un esprit, La Vie d'Adèle aura durement marqué Cannes 2013 dès sa présentation, le jeudi 23 mai.
Sur scène, la révélation Adèle Exarchopoulos ne peut retenir ses larmes. Sur un nuage au côté de Léa Seydoux, la jeune actrice ne cachera pas son bonheur. Prenant le temps, comme à son habitude, de poser chaque mot au moment de son discours, Abdellatif Kechiche a tenu à rendre hommage à Claude Berri, son ami, son inspiration. La passion fusionnelle a laissé place aux sanglots et au bonheur...
La grogne
... Mais très vite, Adèle Exarchopoulos rappelle à sa façon que La Vie d'Adèle fait l'objet d'une fâcheuse controverse. "Je remercie les techniciens du film", lâche-t-elle avant de passer devant les objectifs pour les traditionnelles "photos de famille". Les techniciens, ces petites mains de l'ombre qui ont permis au film d'exister tout autant que ses trois représentants sur scène, ont laissé exprimer leur colère au moment où le film entre en compétition jeudi dernier.
Dans un communiqué dont les propos ont été relayés par Le Monde, le Spiac-CGT, le Syndicat des professionnels de l'industrie de l'audiovisuel et du cinéma, évoque des techniciens victimes de "faits révoltants et inacceptables" au point d'en être "revenus écoeurés, voire déprimés". Sans détour, le communiqué parle de techniciens "poussés à bout par la production", "usés moralement" par des actes proches du "harcèlement moral". En ligne de mire, des conditions de travail indignes, "des journées de travail de 16 heures déclarées 8 heures", "des convocations par téléphone pendant les jours de repos ou pendant la nuit"... Cerise sur le gâteau, montage hâtif pour Cannes nous dit-on, La Vie d'Adèle n'a même pas de générique : "C'est comme si nos noms avaient été effacés, on n'existe plus !", raconte un technicien au Monde. Une grogne qui n'aura pas empêché le film d'Abdellatif Kechiche de glaner une Palme d'or pour la première participation cannoise du réalisateur de L'Esquive.
Bad buzz
Pendant que l'ultime Manif pour tous finit non sans heurts au coeur de Paris, La Vie d'Adèle prend le relais de L'Inconnu du lac (Queer Palm qui récompense le meilleur film gay). Sans clin d'oeil politique, le film évoque la relation passionnelle entre deux femmes, son auteur n'a pourtant pas surfé sur la récupération politique, préférant dédier sa récompense à la révolution tunisienne, d'où il est originaire, et soulignant la nécéssité "de vivre, de s'exprimer et d'aimer".
Difficile dans un tel moment de joie et de reconnaissance d'ironiser sur la victoire de La Vie d'Adèle. En ce sens, le dérapage du community manager du compte Twitter cinéma de Canal+ a déclenché une vive polémique. " Est-ce qu'elles vont se lécher le minou pour fêter la Palme d'or ? ", assène le tweet. Quelques minutes plus tard, le mal est fait. Le compte enchaînera les excuses, de "pas de polémique par rapport au précédent tweet, Cannes a célébré une magnifique histoire d'amour" à "mésentente absolue sur ce tweet en rien homophobe, surtout en cette journée. Nos plus plates excuses pour cette incompréhension". Une "incompréhension" mal encaissée par de nombreux lecteurs qui ne manqueront pas de qualifier la blague d'homophobe.
Viva Asia
La Vie d'Adèle triomphant, le reste du palmarès ne manque pas d'exotisme et de talent. Citoyen du monde, Steven Spielberg, via son jury, a consacré l'Asie. Déjà remarqué dans le Palmarès par une Caméra d'or (Ilo Ilo, d'Anthony Chen, première récompense de l'histoire pour Singapour) et la Palme d'or du meilleur court-métrage (Safe, de Moon Byoung-gon), l'Asie s'est distinguée dans les plus hautes récompenses. Un Prix du jury pour Tel père, tel fils de Kore-Eda Hirokazu et un prix du scénario pour A Touch of Sin de Jia Zhangke parachèveront le succès du cinéma asiatique en cette 66e édition du Festival de Cannes.
Dans le reste du palmarès, Bruce Dern (Nebraska) a répondu à Bérénice Bejo avec le prix d'interprétation masculine, pendant qu'Inside Llewyn Davis, des frères Coen, glanait le Grand Prix. Les Etats-Unis n'était donc pas en reste. Enfin, le violent Heli d'Amat Escalante a remporté, malgré une critique réticente, le prix de la mise en scène.
Christopher Ramoné