Palme d'or en 1956, Le Monde du silence est pour beaucoup aujourd'hui un film culte. Le documentaire, coréalisé par le commandant Cousteau et Louis Malle, est pourtant selon un éminent écrivain français, "un film naïvement dégueulasse". Gérard Mordillat, romancier et cinéaste à qui l'on doit La Véritable histoire d'Artaud le Momo et Le Grand retournement, tire à boulets rouges sur le film du légendaire du commandant Cousteau, "une horreur" selon lui. Dans une chronique diffusée dans Là-bas si j'y suis (une ancienne émission de France Inter qui continue sur Internet), Mordillat dégomme Le Monde du silence.
Pointant du doigt Cousteau, un "pacha qui ne sait pas distinguer bâbord de tribord", le chroniqueur croit savoir que le film a implicitement eu pour effet "de faire chier les poissons et toute la faune sous-marine". Avec des extraits à l'appui, Mordillat démonte le film de 1956 tourné dans La Calypso. Il évoque notamment ce plongeur en train de se faire tracter par une tortue de mer ''jusqu'à lui faire perdre le souffle au risque de la noyer", le dynamitage du corail à des fins scientifiques, ou encore ce bébé cachalot qui, naïvement, en touchant les hélices du bateau, s'est mortellement blessé – il sera achevé par l'équipage de Cousteau qui s'amusera ensuite à frapper et tuer les requins venant profiter de la chair fraîche.
Devant pareil spectacle, comment a-t-on pu penser que Le Monde du silence était une ode au monde sous-marin alors que selon Mordillat, ce long métrage s'apparente à de la pure barbarie instiguée par "une bande d'abrutis". Néanmoins pour lui, Le Monde du silence – qui gagna la Palme d'Or à Cannes en 1956 puis l'Oscar du meilleur documentaire en 1957 – est un film qui demeure "prophétique". "Parce que c'est bien le silence qui couvre aujourd'hui cette destruction massive des récifs de coraux, l'extermination des animaux marins, la chasse, la pollution, le cynisme de tous les gouvernements au nom de la science, de la recherche et du profit. Des films honteux comme ça et ignobles, quand on les revoit aujourd'hui, on se dit qu'on a été aveugles", tonne l'invité de l'émission.
Appelé à répondre au chroniqueur, François Sarano, océanographe, chef d'expédition et ancien conseiller scientifique du Commandant Cousteau durant treize ans, ne lui donne pas totalement tort mais tempère. "À l'époque, nous étions certes épouvantablement naïfs, mais Cousteau a ouvert la mer et il est devenu protecteur de la nature (...). Cette réaction est normale, mais il est nécessaire de remettre le film dans son contexte : notre planète comptait 2,7 milliards d'habitants, la mer était une donnée inconnue, et à nos yeux, elle représentait une corne d'abondance inépuisable", déclare-t-il à L'Express, avouant être dans "dans le consciemment dégueulasse". Le film, qui a longtemps été considéré comme pionnier dans le genre du documentaire de vulgarisation océanographique, dit pourtant quelques vérités, comme par exemple l'usage de la dynamite. "Lorsqu'un scientifique souhaite découvrir une espèce, il effectue un prélèvement, il est donc obligé de tuer l'animal", justifie François Sarano, ajoutant que le poison a remplacé la dynamite.