À pourtant un mois de la sortie française de La Vie d'Adèle, jamais autant d'encre n'aura coulé sur une Palme d'or française. Parce qu'il fait jaser, irrite, surprend, séduit ou détonne à travers le discours de ses deux actrices principales, le long métrage d'Abdellatif Kechiche est tout aussi fascinant. Aux diverses publications sulfureuses autour du film qui dresse le portrait d'une adolescente de 15 ans expérimentant la vie, l'amour et l'homosexualité au côté d'une femme qu'incarne Léa Seydoux, s'ajoute une nouvelle interview sans concession des deux jeunes femmes héroïnes du film.
Un tournage intense
"Surprises que le film soit en fin de compte moins intense que ne l'avait été le tournage", Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux ne semblent pas manquer de matière lorsqu'il s'agit d'évoquer les conditions quasi ahurissantes du tournage de La Vie d'Adèle. Pour satisfaire un réalisateur qui "veut toujours plus, des choses vraies, jamais de la fabrication", les filles sont allées au-delà de ce que l'on peut imaginer pour une telle histoire. "Il filmait quand je dormais entre les prises, quand j'étais en train de manger pendant la pause-déjeuner", et il a même "tourné une scène où je fais pipi", confie Adèle. Et cela, dès le début, dès le premier jour : "On a tourné une scène de bouffe familiale en plein soleil. On devait s'empiffrer de merguez et boire plein de vin, alors au bout de quatre ou cinq heures, j'étais un peu faite", se souvient l'actrice. "J'ai prévenu Abdel : 'Euh là, je crois que je vais vomir', et il m'a répondu : 'Génial !' On est montés dans la salle de bain et il m'a dit : 'Vas-y, enlève ton T-shirt, mets-toi en boxer et vomis !'. Et j'ai gerbé. Mais en fin de compte, il n'a pas gardé cette séquence dans le film", raconte la jeune révélation de 19 ans.
Quant aux scènes de sexe, il fallait élucider le mystère. Bien sûr, à Cannes, elles avaient assuré ne pas avoir couché réellement ensemble, mais la question n'est pas là. Comment ont-elles joué ces longues et incroyables scènes, et comment Kechiche les dirigeait-il derrière sa caméra ? Pour Adèle, il n'y a pas eu de contact. Léa, ironique, tempère. "Un peu quand même. Parfois, t'avais ta langue dans mes fesses." Son acolyte surenchérit : "Un peu, mais c'était protégé, on avait de la fausse peau au-dessus de la nôtre", avec des moulages de leurs sexes notamment. "D'une certaine façon, les scènes de sexe, ce n'était pas le plus difficile", se souvient Léa Seydoux, même si sa complice affirme avoir tout donné pour terminer au plus vite. "On n'en pouvait plus. À la fin, je te mettais des claques sur les fesses pendant des heures et des heures", se rappelle la jolie blonde.
Humiliation ou punition
Pour Adèle Exarchopoulos, ce sont les humiliations qui lui rappellent ô combien le tournage fut difficile. "T'es à poil toute la journée devant six personnes, donc il y a un moment où ça frôle l'humiliation [...] À la fin, on allait même bouffer à poil. Avec les cameramen, c'était Koh Lanta", lâche la jeune actrice. "Parfois, Abdel nous criait : 'Plus, plus ! Je veux tu jouisses !' On était hébétées, il arrivait toujours un moment où on ne savait plus quoi faire", avoue Léa Seydoux. À ses côtés, Adèle confirme : "À un moment, on ne comprenait plus ce qu'il voulait, ce qui n'allait pas, ce qui manquait", en se remémorant ce moment passé aux urgences, contrainte par son directeur, parce qu'Adèle Exarchopoulos a eu le malheur de dire qu'elle était angoissée. "C'était pour me punir", confesse-t-elle.
Même avec "le petit Lexo" pour Léa ou "le petit oinj [joint, NDLR]" pour Adèle, difficile de décompresser et de sortir de l'ambiance de ce tournage. Une ambiance déjà évoquée par certains techniciens lorsque le film a été présenté à Cannes. Adèle Exarchopoulos se souvient par exemple de ces "gens qui venaient nous chercher en voiture le matin en larmes parce qu'ils subissaient trop de pression". "Et puis tout se faisait au jour le jour", reproche celle qui ne connaissait rien des méthodes du réalisateur de L'Esquive.
Pour autant, elle refuse d'être un porte-parole et honore son metteur en scène (un paradoxe, après avoir dénoncé ses dérives dans un média anglais) : "C'est une bonne personne. C'est sa complexité qui est effrayante, intimidante, dure à cerner et à accepter. Il est le premier à avoir souffert sur ce film. On n'en parle jamais, mais il a fait beaucoup de sacrifices pour La Vie d'Adèle, et quelque part, il attend des autres qu'ils lui rendent la pareille." Léa Seydoux acquiesce et résume : "On était conscientes que ce tournage ne pourrait donner qu'un grand film."
La Vie d'Adèle – Chapitre 1 & 2, en salles le 9 octobre.
Interview à retrouver dans son intégralité dans le Première de septembre.