Purepeople : Est-ce que tu peux nous en dire plus sur tes projets musicaux ?
Najoua Belyzel : Je travaille sur une extension de Rendez-vous... De la Lune au Soleil, qui est sorti il y a deux ans. J'avais ce désir très fort de vraiment prendre mon temps. C'est un regret que j'ai avec mon premier album. L'industrie musicale n'était pas la même et je n'avais pas pu développer davantage d'autres thématiques, d'autres chansons que Gabriel, qui a eu une renommée internationale. J'ai aussi recommencé à écrire pendant le deuxième confinement.
Est-ce que le titre Le con qui s'adore s'inspire du mouvement #MeToo ?
Je me nourris beaucoup de l'autre, de la société, de ce qui se passe dans la réalité. Je me souviens de cette touriste canadienne venue en France qui avait accusé des policiers de viol. Ça m'avait marquée parce qu'un corps s'était formé contre elle pour dire qu'elle mentait. Alors que les caméras prouvaient les faits. Mais on assurait qu'elle avait dit "oui" et cette histoire de consentement m'a touchée. Le fait qu'elle se laisse faire parce qu'elle s'est dit que si elle se débattait, elle allait mourir. Elle a choisi de vivre avec. Je me suis mise à sa place. Je me retrouve en chacune de ces femmes.
Tu as récemment évoqué avoir été victime d'abus sexuel sur mineur.
Je m'intéresse toujours à ce qu'il se passe, juridiquement parlant, pour la protection des mineurs et des enfants. Au moment du débat sur l'âge du consentement, plein de femmes ont posté des portraits d'elles à l'âge de 13 ans, ce que je me suis amusée à faire. Puis j'ai eu une interview, et en regardant à nouveau cette image, je me suis revue sous l'emprise de mon médecin de famille. Tout est ressorti. Je me suis dit que c'était le moment d'en parler. Je crois que c'était mon devoir, en tant que femme, mais aussi en tant que maman.
Est-ce que tu avais eu l'occasion d'en parler à tes parents ?
Pas vraiment. Ça remonte à l'année 1994. Ils avaient confiance en lui. Je leur montrais juste que je l'aimais pas. Quand j'étais malade, je disais que je ne voulais pas aller le voir. J'avais une santé assez fragile, je souffrais d'incontinence urinaire et il s'était pris pour un gynécologue. Il touchait des endroits qu'il n'avait pas le droit de toucher. Le sexe, les seins, il me caressait les cheveux. Il me montrait des photos à caractère pédopornographique pour me parler de l'érection chez un homme. Puis il a insisté pour s'occuper de ma scoliose, pour que je revienne. Il m'a fait descendre dans un sous-sol, m'a installée sur une table, avec une télévision, des bonbons. Je la revois cette scène. Il montait, il descendait, il remontait. Ses gestes étaient rapides. J'ai eu la lucidité de mettre mes baskets et de m'enfuir.
Est-ce que ce docteur a été puni pour ses actes ?
Je savais que ce qu'il faisait n'était pas normal. Je me disais que c'était un sadique, un pervers, qu'il était bizarre. Plus tard, j'ai appris que c'était un véritable bourreau. Qu'il avait violé sa fille pendant dix ans, qu'elle avait porté plainte à deux reprises, mais que ses plaintes avaient été classées sans suite. Il a abusé de plusieurs autres jeunes filles issues de l'immigration que je connaissais. Il avait vraiment choisi où tisser sa toile, sur qui avoir de l'emprise. Mais le 10 mars 2005, il s'est suicidé par pendaison. Maintenant, il faut vivre avec.
C'est quelque chose qui a impacté ta vie privée ?
J'ai quitté Nancy pour venir à Paris à 19 ans. J'ai fait une rencontre incroyable, celle de Christophe Casanave, qui m'a permis de faire ma résilience, qui est aujourd'hui le père de mes enfants, mon producteur, mon compositeur, mon compagnon, mon meilleur ami. J'ai une chance incroyable. Je lui ai tout raconté, parce que ça me touchait personnellement, intimement en tant que femme, dans mes rapports avec lui. J'avais un problème. C'est lui qui m'a poussée à en parler en écrivant, en 2006, le titre Docteur Gel.
Tu es donc maman de deux petites filles...
C'est assez nouveau, oui ! J'ai accouché juste avant mon troisième album et je suis tombée enceinte pendant la promo de ce troisième album. J'ai deux petites filles en bas âge. L'aînée, Mina, va avoir 4 ans, et Jena a 16 mois. Aujourd'hui en tant que maman, je voudrais vraiment me rapprocher un maximum de la protection de l'enfance. C'est super important. J'essaye déjà de construire une conversation avec ma plus grande, sans lui faire peur, pour qu'elle comprenne que son corps est sien...
Propos recueillis par Yohann Turi. Toute reproduction interdite sans la mention de Purepeople.com.