C'est une histoire bouleversante. En 2013, Nazif Mujić, acteur rom bosniaque est récompensé du prestigieux Ours d'argent du meilleur acteur à la Berlinale, l'un des plus célèbres festivals de cinéma au monde. Méconnu du grand public, il était salué pour sa performance dans La Femme du ferrailleur, un film réalisé par Danis Tanović (à qui l'on doit No Man's Land). L'histoire, portée par des acteurs amateurs, dépeignait celle de Nazif, un ferrailleur vivant en Bosnie avec sa femme, Senada, et leurs 2 filles. Un jour, Senada se plaint de terribles maux de ventre et doit se faire hospitaliser d'urgence. Mais faute de couverture sociale, le couple doit payer l'opération : une somme considérable qu'ils n'ont pas. Pendant dix jours, Nazif fait tout pour sauver la vie de Senada en cherchant de l'aide auprès des institutions et en tentant de trouver toujours plus de fer à vendre.
Trois ans après avoir été sous le feu des projecteurs à Berlin, Nazif Mujić a vu la réalité rattraper la fiction. Dans un entretien accordé à l'AFP, l'acteur du film – il n'a pas eu d'autres expériences cinématographiques depuis – explique avoir été contraint de vendre son Ours d'argent. "J'ai d'abord vendu une vieille voiture, ensuite quelques objets personnels, puis c'était le tour de l'Ours", explique-t-il. La raison est simple : ses trois enfants, un garçon de 5 ans et deux filles de 8 et 10 ans, "n'avaient presque rien à manger depuis trois jours" lorsqu'il a pris la décision de se séparer de sa récompense. Sur Internet, il en demande 5000 euros mais finit par accepter les 4000 du patron d'un bar local. "Je ne suis pas un collectionneur et j'ai acheté la statuette surtout pour aider Nazif", assure ce dernier. C'est un homme malade qui ne peut pas travailler et doit nourrir ses trois enfants. L'Ours est chez moi, mais je vais l'offrir à un musée."
Diabétique depuis trois ans, Nazif Mujić a repris son quotidien de ferrailleur après Berlin où il a bien essayé de revenir l'année suivant son prix. Mais sa demande d'asile a été refusée par l'administration d'Angela Merkel. Aujourd'hui, il subsiste avec ses récoltes de ferraille qui rapportent "6 ou 7 marks par jour", soit 3,5 euros.
Avec l'argent de la statuette, il dit avoir payé des dettes pour l'électricité et s'être acheté un billet de bus pour la prochaine édition du festival de Berlin qui se déroulera du 9 au 19 février. Il compte y "raconter l'histoire de [sa] famille depuis la réception du prix", avec dans l'idée de faire une nouvelle demande d'asile en Allemagne. "J'espère qu'elle sera acceptée. Je veux seulement que mes enfants vivent normalement", conclut-il.