Très expressif dans ses performances sur scène, Roberto Alagna, ce n'est plus à prouver, l'est aussi dans la conversation médiatique. Interlocuteur volubile, chaleureux et volontiers séducteur, il en dit beaucoup, au risque d'agacer encore ceux de ses détracteurs qui trouvent qu'il en fait (parfois) trop. Deux versants d'une forme de générosité, urbi et orbi. Et c'est ainsi que, sans ambages, le voilà qui annonce de but en blanc qu'il a retrouvé l'amour et s'apprête à devenir papa début 2014, 22 ans après la naissance de sa grande fille, Ornella.
C'est au coeur d'un entretien avec la revue Version Femina à l'occasion de la sortie de Robertissimo (le 7 octobre, chez Deutsche Grammophon), compilation d'airs d'opéra en mode superlatif, que le fougueux ténor fait cette plaisante confidence. On l'avait laissé en tout début d'année au bord d'un divorce "imminent" soldant son histoire d'amour "animale" et accidentée avec la soprano roumaine Angela Gheorghiu, sa "volcanique" épouse depuis 1996, on le retrouve à l'aube d'une nouvelle vie, à 50 ans. À la question toute simple de savoir s'il est un homme heureux, Roberto Alagna répond dans les grandes largeurs : "Je me sens de plus en plus jeune physiquement et vocalement, c'est ce qu'on me dit. C'est bon signe. Je suis heureux, serein, c'est une vitesse de croisière qui s'annonce. J'entame la cinquantaine en forme. J'ai une nouvelle femme, elle a 36 ans [la soprano Aleksandra Kurzak, précise alors Version Femina, NDLR], une nouvelle vie. Tout va bien. Je vais être papa en février. Ça joue, c'est peut-être ça qui me rend plus jeune ! C'est tellement beau, ça vous donne envie de faire des projets, de croquer la vie, de travailler, d'évoluer encore, c'est formidable."
"Je n'ai pas été très présent pour Ornella, ma fille de 22 ans. (...) J'aurai 70 ans quand cet enfant en aura 20, mais il faut avancer"
Amoureux à nouveau, désormais en couple avec la jeune soprano polonaise Aleksandra Kurzak, signée chez Decca depuis 2010 et qui publie cette année Bel Raggio (des airs de Rossini), le plus sicilien des ténors français avoue même ses regrets et ses craintes quant à l'arrivée de bébé : "Je n'ai pas été très présent pour Ornella, ma fille qui a 22 ans. J'ai raté des choses, j'aurai peut-être le plaisir de voir davantage cet enfant grandir. En même temps, ça fait peur : j'aurai 70 ans quand il en aura 20, mais il faut avancer."
Il sait de quoi il parle. En janvier 2012, Roberto Alagna revenait avec une incroyable sincérité sur la mort tragique de sa première épouse, Florence, qui avait succombé en 1993 à une tumeur au cerveau un peu plus d'un an après avoir donné naissance à leur fille Ornella. "La mort est venue frapper lorsque j'avais 30 ans, témoignait-il alors. Ma première épouse a été foudroyée par une tumeur au cerveau. À partir de là, j'ai eu peur pour tous ceux que j'aime." Un véritable traumatisme : "J'ai peur du bonheur, poursuivait-il. Au moment où ma carrière décollait, j'avais acheté un petit appartement, on venait d'avoir un enfant. Tout allait bien. Je roulais en voiture. J'ai eu l'impression de m'envoler, c'était le nirvana. Le soir même, ma femme me dit qu'elle ne se sent pas bien : les médecins ont diagnostiqué une tumeur et tout s'est effondré. Depuis, j'essaie d'être heureux, mais jamais à 100%. Je sais que, lorsqu'on atteint cet état [il claque des doigts, NDLR], un truc négatif surgit derrière."
"Être avec une chanteuse joue énormément"
Cette fois, tout est pourtant positif, et aucune ombre ne semble menacer ce bonheur. Visiblement divorcé d'Angela Gheorghiu, Roberto Alagna se livre sur sa nouvelle compagne. Toujours sans langue de bois, et toujours avec passion : "J'ai besoin d'admirer la femme avec laquelle je vis ! Je suis quasiment tout le temps au théâtre et dans ce milieu. C'est difficile pour moi de rencontrer une personne en dehors. C'est pour ça que je suis de nouveau avec une soprano, mais une soprano colorature. Ça change un peu ! Le chant est une passion et j'ai besoin de la partager avec la personne que j'aime. Être avec une chanteuse joue énormément, je peux partager mes doutes, mes craintes, mes joies, mes états d'âme. On est comme un miroir l'un pour l'autre."
Malgré son besoin de vie de famille et ce renouveau dans sa vie personnelle, le ténor, qui passait son temps à ne faire que se croiser avec son ex-femme en fonction de leurs emplois du temps, ne compte pas lever le pied et a bien des objectifs lyriques dans la mire : alors que la Scala le courtise pour qu'il vienne présenter à nouveau Aïda, qui lui valut un joli scandale en 2006 quand il quitta brusquement la scène milanaise, il est booké au Met de New York pour Tosca, à Covent Garden pour Carmen et à Bastille avec Werther en janvier 2014. Il profitera d'être en France pour prendre part le 30 janvier à la soirée Little Italy au Zénith, un concert à base de chansons populaires italo-américaines qu'il voit comme une bouffée d'oxygène. Et pour accueillir son deuxième enfant le mois suivant.
En attendant, on peut l'écouter dans Robertissimo, dont le nom est inspiré du Pavarotissimo de Pavarotti (cette idole qu'il n'a jamais voulu rencontrer pour éviter qu'elle devienne homme) et où figurent trois titres inédits : "La veuve de Chostakovitch avait demandé à Charles Aznavour de faire des paroles sur la Symphonie n°2. Il ne se sentait pas inspiré, donc il me l'a donnée. J'ai composé beaucoup de chansons quand je faisais du cabaret. Mes frères ont également fait deux textes pour les deux autres inédits dont une superbe chanson en sicilien avec un arrangement sublime d'Yvan Cassar."
G.J.