Fini la vie tranquille à Washington, à l'abri du déchaînement médiatique et populaire : à Palma de Majorque, où il est arrivé vendredi soir et s'est installé au palais Marivent avec son épouse l'infante Cristina, Iñaki Urdangarin a eu droit à un comité d'accueil très remonté.
Samedi matin, le gendre du roi Juan Carlos Ier d'Espagne était convoqué au tribunal majorquin pour y déposer devant le juge d'instruction, José Castro, désireux de l'entendre s'expliquer sur les présomptions d'importants détournements de fonds le concernant. Premier membre de la famille royale jamais appelé à déposer devant un juge, son implication dans le scandale de l'Institut Noos (l'affaire dite "Palma Arena") a mis la famille royale d'Espagne, discrète et respectée, dans un embarras inédit, et a attisé la véhémence de miliants antimonarchistes qui n'avaient jamais eu une si belle occasion de se faire entendre, en ces temps de crise.
Ancien international ibérique de handball (champion national et médaillé olympique) reconverti en homme d'affaires, Iñaki Urdangarin est dans l'oeil du cyclone depuis novembre 2011 et la révélation par la presse espagnole de possibles détournements de fonds publics à l'époque (2004-2006) où il était président de l'Institut Noos, une société de mécennat chargée de l'organisation du Congrès international du tourisme des Baléares, un événement mettant le sport au coeur de l'attractivité touristique. Jusqu'à maintenant, on évoquait la somme de 5,8 millions d'euros, mais, à en croire le quotidien El Mundo, ce sont près de 17 millions d'euros payés par l'administration publique et particulièrement les collectivités territoriales qui auraient été détournés par Iñaki et ses associés, au moyen de prestations fictives ou de factures surgonflées. Les événements se sont ensuite rapidement enchaînés : en décembre 2011, le bureau anticorruption espagnol, après avoir perquisitionné les locaux de l'Institut Noos, confirmait que le gendre du roi avait expédié d'importantes sommes d'argent public vers des paradis fiscaux. Juan Carlos Ier, symbole révéré et jamais ébranlé de la démocratie en Espagne, décidait alors d'écarter Iñaki Urdangarin des activités officielles de la famille royale (sa statue de cire au musée de Madrid a subi le même sort !), dénonçant déjà un "comportement pas exemplaire" et prononçant lors de son discours de Noël des mots lourds de sens ("la justice est la même pour tous"), puis publiait les comptes de la Maison royale - une première - en signe de transparence et en réponse au scandale grondant.
Samedi 25 février, à 9h, Iñaki Urdangarin, 44 ans, s'est présenté à pied au tribunal, comme simple justiciable, alors qu'il avait eu la permission exceptionnelle, pour raisons de sécurité, d'approcher jusqu'à la porte en voiture. Les traits tirés, l'air sombre et visiblement amaigri, il s'est exposé aux caméras, aux micros, aux regards inquisiteurs des curieux et à la colère de quelque 200 manifestants, clamant des slogans ou brandissant des pancartes avec des messages tels que "Attention à ton portefeuille, Urdangarin arrive", "Iñaki, tu nous dois de l'argent", ou encore "Monarchie = Corruption". Copieusement hué, il avait déclaré vouloir "démontrer son innocence". Entendu durant neuf heures samedi, le gendre du roi a tenu à écarter du dossier son épouse l'infante Cristina, copropriétaire avec lui de l'une des sociétés citées dans l'affaire. La seconde fille du roi Juan Carlos et de la reine Sofia n'a pas été mise en cause par la justice, mais elle est présente à Majorque pour soutenir son époux, que plus de trois Espagnols sur cinq estiment coupable, d'après un sondage de la chaîne Telecinco selon lequel près de 44% des citoyens pensent que l'affaire Noos met en péril l'avenir de la monarchie. Le fait que le roi ait été au courant, peu ou prou, des faits à l'époque - c'est lui qui avait poussé son gendre à la démission de la présidence de Noos et d'accepter un poste chez Telefonica, qui le muta à Washington en 2009 -, a pu peser dans la balance.
Iñaki Urdangarin, père de quatre enfants avec l'infante Cristina, est revenu au tribunal ce dimanche matin, moins chahuté que la veille, pour la suite de sa déposition. L'instruction pourrait durer plusieurs mois avant l'ouverture éventuelle d'un procès. D'ici là, l'ambiance promet d'être délétère, et le couple royal ainsi que l'héritier Felipe et son épouse Letizia auront bien du mérite à continuer à remplir leurs obligations sans faux pas.