Albert Lance : Mort du plus grand ténor d'Australie, Français d'adoption

Il était le ténor vedette de deux nations : né en 1925 aux antipodes (à Menindee, en Nouvelle-Galles du Sud, Australie), adopté en 1955 par la France, dont il avait acquis en 1967 la nationalité et dont il fut la figure masculine de proue de l'art lyrique après le milieu du XXe siècle, le ténor Albert Lance (de son vrai nom Lancelot Albert Ingram, ou plus couramment Lance Ingram) est mort mercredi matin, 15 mai 2013. Souffrant depuis quelque temps, il s'est éteint "paisiblement" à l'âge de 87 ans des suites de problèmes cardiaques à son domicile de Colomars, dans les Alpes-Maritimes, selon un faire-part de décès publié sur son site officiel par son biographe, Doug Holden. Il laisse derrière lui son épouse, l'ancienne mezzo-soprano Iris Parel, une fille, Marie-Christine, et un petit-fils, Matthew.

L'un des plus fameux ténors que l'Australie ait vu naître, Albert Lance avait commencé le chant dès l'enfance, à l'école, à l'église, à la chorale. Sa mère l'avait inscrit au conservatoire de Melbourne. Une fois diplômé, le jeune homme, qui a trompé la mort à plusieurs reprises à l'adolescence (ayant survécu notamment à une méningite), se produit dans les bars, les clubs, dans les vaudevilles, tourne avec une troupe dans toute l'Australie, interprétant le répertoire populaire, et à la radio, avec sa voix "reconnaissable entre mille". Le directeur de la troupe, convaincu de son talent, l'incite à passer une audition à l'Opéra de Melbourne, avec succès. Sa carrière opératique débute immédiatement avec, en 1950, un rôle dans Tosca, puis ceux de Rodolfo dans La Bohème et Pinkerton dans Madame Butterfly, toujours chez Puccini. Acclamé, il a le privilège de se produire dans le rôle-titre des Contes d'Hoffmann d'Offenbach devant la reine Elizabeth II fraîchement couronné lors de sa première visite en 1954. Lauréat d'un prix radio et repéré par l'épouse d'un professeur de chant lyrique réputé, il part alors pour la France et perfectionne son art, notamment avec la collaboration de Simone Féjard (chef de chant et répétitrice à l'Opéra et l'Opéra-Comique, cette grande dame de l'art lyrique est morte centenaire en mai 2012, et Roberto Alagna, qui avait beaucoup collaboré avec elle, avait salué avec émotion cette "bonne fée" de sa carrière). Ayant changé son nom de Lance Ingram en Albert Lance, il reprend son rôle de Cavaradossi dans Tosca à l'Opéra Comique en 1955, avant de faire ses débuts à l'Opéra Garnier en 1956 dans le rôle de Faust et de chanter en 1959 dans la création de Carmen de Bizet, s'imposant comme l'un des tout meilleurs ténors de l'époque. Un statut de "Ténor national de France" qui vaudra pendant deux décades, où, en plus de chanter avec les plus grandes divas d'alors (Maria Callas, Dame Joan Sutherland), il collectionnera les rôles emblématiques sur les scènes parisiennes, mais aussi dans toute la France et dans le monde. Il avait d'ailleurs fait ses débuts aux Etats-Unis en 1961, à San Francisco. En 1967, la revue Life l'intronisait parmi les huit plus grands ténors de l'Histoire, voire le plus grand alors en vie.

S'il a laissé peu d'enregistrements, Albert Lance avait, après sa retraite scénique en 1977 (il était alors membre permanent de l'Opéra du Rhin de Strasbourg depuis 1973), transmis son savoir, enseignant au Conservatoire de Nice et à Antibes, et produit des spectacles et des artistes via sa société Albert Lance Lyric Theatre Company.

En 2010, peu avant sa mort, Dame Joan Sutherland avait exprimé ses regrets de n'avoir pu chanter plus avec Albert Lance, et, surtout, que ses compatriotes australiens n'aient pas profité plus de lui à son zénith. La France, en tout cas, l'a parfaitement adopté - c'est De Gaulle, son premier fan, qui lui avait accordé la nationalité française. En 2011, l'Opéra de Paris avait annoncé vouloir organiser un jubilé pour le ténor, une première pour un Australien, mais la santé de l'intéressé ne lui a pas permis de recevoir sa distinction. Doug Holden, son biographe, a indiqué qu'une biographie, Australia's Lost Tenor, et un documentaire télé devraient prochainement voir le jour. Un hommage vidéo a d'ores et déjà été mis en ligne sur YouTube.