Le livre a été imprimé dans le plus grand secret... Dans La Familia grande (Editions du Seuil, dont la sortie est prévue le 7 janvier 2021), l'avocate et maître de conférences Camille Kouchner, la fille du médecin et ancien ministre Bernard Kouchner, raconte les violences sexuelles dont son frère jumeau (qu'elle nomme Victor dans son livre) aurait été victime à l'âge de 14 ans. L'agresseur serait leur beau-père, le politologue Olivier Duhamel, le second mari de leur mère, l'écrivaine Evelyne Pisier. Un douloureux secret de famille recomposée qu'elle a finalement décidé de révéler, après en avoir parlé à ses propres enfants il y a un an.
"J'avais besoin de leur montrer qu'on n'allait pas tous rester emprisonnés dans le silence", Camille Kouchner (45 ans), a-t-elle expliqué à L'Obs, dans un long entretien dévoilé ce 4 janvier. C'est à la fin des années 1980 que son frère jumeau se confie à propos de leur beau-père : "Il est venu dans mon lit et il m'a dit : 'Je vais te montrer. Tu vas voir, tout le monde fait ça. Il m'a caressé et puis tu sais... Respecte ce secret. Je lui ai promis, alors tu promets. Si tu parles, je meurs. J'ai trop honte. Aide-moi à lui dire non, s'il te plaît.'" Camille Kouchner a longtemps tenu sa promesse et gardé le silence sur ces agressions qui se seraient répétées pendant plusieurs années. "C'était comme s'il fallait qu'on se laisse le temps d'analyser la situation. C'était ce que, a posteriori, j'appelle de la sidération, a-t-elle affirmé. Le silence est, pour moi, la dignité du bourreau."
Le "bourreau", l'avocate a préféré ne pas le nommer dans son ouvrage. "Comme ça, je peux parler de ce qu'il a fait. Sinon j'ai du mal", a-t-elle expliqué à nos confrères, faisant donc référence à Olivier Duhamel, avec qui elle n'a jamais évoqué ce secret. "Je lui faisais confiance. C'était comme un père. Et plus que ça. Il a apporté tellement d'intelligence et d'humour dans notre famille (...). Il me donnait confiance en la vie, nous étions complices (...). C'est aussi pour ça que je préfère ne pas le nommer." En 2008, "Victor" a fini par tout dire à sa mère. "Il s'est entendu répondre : 'Il [Olivier Duhamel] regrette, tu sais. Et puis, il n'y a pas eu sodomie. Des fellations, c'est quand même très différent.'"
Je n'ai rien à dire sur ce qui, de toute façon, sera déformé
Trois ans plus tard, "Victor" en parle à son père, Bernard Kouchner. "On avait peur qu'il l'apprenne autrement (...). Il trouvait ça insupportable, voulait casser la gueule de mon beau-père. Mon frère aîné [Julien, NDLR] et moi lui avons alors dit qu'il fallait, malgré la colère, respecter le tempo et la volonté de mon frère jumeau, Camille Kouchner s'est-elle souvenue. Nous n'en avons presque jamais reparlé, sauf très récemment, lorsque je lui ai dit que j'écrivais sur le sujet." Avec ce livre, l'avocate espère "affranchir" et "libérer" tous les membres de sa famille qui portent ce douloureux secret depuis trop longtemps.
De son côté, "Victor" "ne souhaite que la paix" : "Ce qui me gêne profondément pour mon frère (...), c'est que ce livre pourrait l'instituer comme victime. Pour lui qui a fait tant d'efforts, qui a une carrière [en tant que physicien, NDLR], une famille, qui ne s'est jamais plaint, c'est insupportable, sa jumelle a-t-elle expliqué. Trente-deux ans plus tard, c'est un survivant. Nous sommes des fugitifs de l'inceste, des affranchis." Pour ce qui est d'un recours en justice, Camille Kouchner estime que ce n'est pas à elle "d'actionner la justice" : "C'est le travail du procureur."
Selon Le Monde, Olivier Duhamel a été informé de la publication du manuscrit dimanche. Contacté par L'Obs ce lundi, il s'est refusé à tout commentaire. "Je ne réagis pas et je n'ai rien à dire, a-t-elle rétorqué. Non, je n'ai rien à dire sur ce qui, de toute façon, sera, je ne sais pas, n'importe quoi, déformé ou quoi. Merci." Dans la foulée, le président de la Fondation nationale des Sciences politiques (FNSP) et président du conseil d'administration du Siècle, âgé de 70 ans, a fait savoir sur Twitter qu'il démissionnait de ses fonctions.
Olivier Duhamel reste présumé innocent des faits qui lui sont reprochés dans cette affaire.