"La vie est belle, de quoi je me plaindrais ?" Quand Chico, qui a pourtant enduré son lot d'épreuves - on pense en particulier à l'assassinat de son frère et au divorce douloureux des Gipsy Kings -, vous assure avec une sérénité irradiante que l'essentiel est de "se régaler", vous n'avez qu'une envie : l'écouter et faire partie de la bande. Une leçon de fête ; une leçon d'humanité.
Pour ce qui est d'écouter, il y a le nouvel album de l'Arlésien et son groupe, Chico & the Gypsies & International Friends (déjà disponible). Deux ans après une première salve de reprises collaboratives avec des vedettes de la chanson française (l'album "& Friends" - 2012) et un an après une bonne Fiesta (2013), Chico a cette fois rassemblé une collection de chansons revisitées avec des artistes du monde entier (une splendide "mosaïque de cultures" que nous vous détaillons en fin d'article).
Et pour ce qui est de faire partie de la bande, il y a des fiestas à ne pas manquer en perspective : après leur soir de gala annuel à l'Olympia (complet) ce 28 avril, puis un concert à Lyon le lendemain, Chico and the Gypsies, qui ont animé plusieurs soirées de France 2 depuis le début d'année (notamment Le Grand Show qui leur était consacré en février), promettent une soirée hors norme aux Arènes d'Arles le 26 juin. Puis Patrimonio, Sète, Narbonne (toutes les dates à retrouver sur le site officiel)...
A 60 ans (qu'on a bien du mal à lui donner mais qu'il a bien fêtés en 2014 !), Chico Bouchikhi est un homme heureux, tout simplement. Comblé par son clan, sa musique, ses engagements... Un homme unique, aussi, par son sens de la convivialité, lui dont la physionomie d'un calme olympien abrite un vrai chef d'orchestre en matière de fiesta, des plus grandes scènes (comme récemment Covent Garden, à Londres, où Hugh Grant dansait comme un fou, nous dit Chico !) à son Patio, à Arles. Et un artiste reconnu, récompensé en 2015 par les insignes de la Légion d'honneur. S'il peut s'emporter quand il évoque son pénible feuilleton judiciaire contre l'usurpateur Chico Castillo, "malade mental" qui a été condamné, il a en revanche fait la paix même avec les épisodes les plus difficiles du passé, sur lesquels il n'a pas hésité à revenir avec beaucoup de sincérité lors d'un entretien exclusif accordé à Purepeople : la fin prématurée de l'aventure avec ses Gipsy Kings, les dissensions, l'assassinat de son frère Ahmed (tué par erreur par le Mossad en 1973 en Norvège)... Mais dans tout mal, Chico, incurable optimiste, semble voir un bien : ainsi en va-t-il de sa nomination, en 1995, comme envoyé spécial pour la paix de l'Unesco, quelques mois après avoir fameusement serré la main de Shimon Pérès et Yasser Arafat lors du premier anniversaire des accords de paix israélo-arabes à Oslo... Et ce "signe du destin" qu'il raconte avec une émotion encore vive, comme si c'était hier.
Purepeople : Chico, il est beaucoup question "d'envie", dans le documentaire présentant l'album Chico & the Gypsies & International Friends. Mais il n'y a pas de duo avec Johnny ?
Chico Bouchikhi : "(Rires) Peut-être dans le futur... Ça me gênerait pas ! Moi j'adore, et puis c'est mon copain, on se connaît depuis longtemps, depuis l'époque Saint-Tropez, on s'est vus à différentes époques, et il aime bien ce qu'on fait. Moi aussi, j'adore (ce qu'il fait). Même nous, pour s'amuser, on chante ses chansons. Allumer le feu, etc. Dans les soirées entre nous, parfois, on délire un peu ! Oui, avec les rythmes, en fiesta, ça le fait bien."
Purepeople : Plus sérieusement, la notion de plaisir, d'envie, revient souvent quand tu parles de ce projet. C'est ça, le moteur ?
Chico : "C'est l'envie justement d'aller plus loin que ce que nous avions fait il y a deux ans avec Chico & The Gypsies & Friends avec Charles Aznavour, Fiori, Pagny, Nana Mouskouri, Collectif Métissé... On s'est tellement régalés avec cet album, et on a eu une tellement belle réaction du public que ça nous a encouragés. A un moment donné, on s'est dit : "On a la chance d'avoir une carrière internationale. On va partout, dans le monde entier. Pourquoi on n'irait pas plus loin dans cette démarche, en invitant des artistes internationaux ? On a commencé à demander à deux ou trois, et tout le monde a répondu oui spontanément. Après, la surprise... Un jour, chez Patrick Sébastien, j'ai croisé Billy Paul. Physiquement, j'avais vu des photos, mais je ne le connaissais pas ; et quand on m'a dit "Billy Paul" et que je l'ai entendu chanter, je suis resté scotché. J'avais ce projet d'artistes internationaux, je me suis dit que ça pourrait être sympa si je lui demandais de participer à une chanson. Mes copains m'ont dit : "Laisse tomber, tu vas perdre ton temps, il habite à New York, c'est compliqué. En plus, entre ce qu'il fait et ce qu'on fait..." Mais moi, c'est ce que j'aime, ces rencontres un peu improbables. Alors je suis allé taper à sa porte. Je me suis présenté, et il m'a dit : "Mais je vous connais. D'abord, je connais votre musique, et puis je voulais vous voir, parce que ma femme adore aussi ce que vous faites." Je lui ai proposé, il m'a dit : Why not ? Pourquoi pas ? J'ai préparé une prémaquette, je lui ai envoyée à New York, et il m'a répondu : "Allez, on y va." J'ai trouvé ça génial."
"Quand le personnage est arrivé, pour faire le clip, un peu de promo, on s'est rencontrés, et là on a découvert un homme extraordinaire. Incroyable. Il a 80 ans. Il est beau. Il est élégant, il est grâcieux, il est attentionné, il est bienveillant. Fabuleux. Et à propos de cette chanson des années 1970, un carton mondial repris partout, il racontait dans les interviews : "C'est la première fois que je la fais en duo, et je suis ravi de le faire avec Chico". Je suis resté mort, c'était très flatteur. Ça contribue à enrichir encore cette belle aventure musicale née il y a longtemps et qui continue avec la même force, la même passion, la même énergie. Franchement, c'est un cadeau du bon Dieu."
Purepeople : Outre cette belle surprise, comment s'est faite la sélection des invités ?
Chico : "On s'est fait des listes de chanteurs qu'on aimait bien, à qui, pour certains, on avait déjà proposé quelque chose, comme Kassav par exemple, que je connais depuis longtemps. On s'est tout le temps dit : puisqu'on fait des musiques de fête tous les deux, pourquoi ne pas collaborer sur un titre ? Après, il faut trouver les chansons qui vont bien avec les personnages. Pour moi, c'est une mosaïque de cultures différentes. C'est un peu à l'image de l'Unesco, c'est pour ça qu'on a fait la pochette avec les drapeaux, on a voulu montrer cette diversité."
Et en même temps, c'est devenu une chaîne d'amitié ; il y en a avec qui on est devenus amis suite à ça, parce qu'on s'est découverts, on s'est appréciés, on s'est aimés. Comme Jessy Matador, par exemple. Des gens que je ne connaissais pas personnellement. Et en plus quand ils viennent nous voir en studio, on dirait des enfants, ils sont ravis, ils découvrent une autre façon de faire de la musique. Comme quand Billy Paul dit, dans l'EPK : "Je suis comme un enfant dans un magasin de jouets." "C'est beau. Dans une émission qu'on a faite, à un moment, il y avait plein de guitares par terre, et il a dit : "On se croirait dans un magasin de guitares, c'est super." Il a cette fraîcheur d'un grand homme. Il y en a d'autres avec qui on avait déjà collaboré. Comme Collectif Métissé, ça me paraissait naturel. C'est la musique, l'énergie, ça va de l'avant."
Purepeople : Et même... Kim Wilde !!!
Chico : "J'adorais cette chanson façon Sting. Kim Wilde, grande star, qui nous a régalés... En fait, j'ai des partenaires allemands, qui ont un grand studio et avec qui on travaille depuis des années : c'est eux qui m'ont proposé. Ça l'a fait : cette voix suave... Kim Wilde, quoi."
Purepeople : Amener certains de ces artistes dans l'univers flamenco, ce n'était pas déstabilisant pour eux ?
Chico : "Avec le groupe, on essaye de les mettre à l'aise. Papi Sanchez, pour Bailame, est arrivé avec sa façon de chanter la chanson, on l'a découvert ensemble en studio. Ils ont adoré, ils avaient tous un regard d'enfant. Tony Carreira, Kassav... Quand ils sont venus en studio, ils étaient comme ça [il écarquille les yeux]. Il y a une grande confiance, quand même. Ils nous ont vraiment laissés faire comme on a voulu, mais on a respecté. Quand on écoute le titre de Kassav, il y a la touche Kassav, c'est nous qui l'avons fait, volontairement. Les deux se marient incroyablement bien. Jacob, quand il est rentré en studio, il a dit à sa copine : "Voilà, c'est ça." On a fonctionné au coup de coeur, on a pensé que tel titre correspondait à telle personne, en espérant que ça fonctionne, et ça a fonctionné."
Purepeople : Il n'y a qu'un seul titre francophone, Le Soleil donne, de Laurent Voulzy...
Chico : "Il y a une espèce de fraîcheur. C'est pour ça qu'on a invité Flavel & Neto. Ils ont cette fragilité dans les personnages... Il y a une fragilité, j'aime bien. Il y a l'émotion. Et puis même si c'est un album international, on a voulu laisser une porte ouverte aux artistes français, c'est la nouvelle génération, on ne s'est pas posé de conditions. Il y a aussi des chansons qu'on chante depuis longtemps sur scène, comme Hotel California. Nuno Resende l'a fait avec passion, il faut le voir en studio, c'est un bosseur, il y va à fond. Il a une pêche, une énergie ! Le résultat est assez étonnant, j'adore ce titre."
"Il y a beaucoup de titres qu'on joue chez nous, après un repas, quand on veut faire la fête. Il y en a beaucoup qu'on a déjà expérimentés, dont on était déjà convaincus : on sent qu'il y a de la force dedans. Le premier titre, c'est mon neveu et ma fille qui chantent : on peut aller chercher des artistes partout, mais juste à côté de nous, on a aussi quelques perles rares."
Purepeople : Ils n'ont fait aucun télé-crochet ?
Chico : "Non, non (rires)."
Purepeople : Après une belle année 2014 qui t'as vu fêter 60 ans, 2015 est sur le même tempo !
Chico : "C'est une grande année, et ça continue, avec de belles surprises qui arrivent, comme un concert aux arènes d'Arles, chez moi, le 26 juin. Je vais voir si je le fais avec les cinquante guitares et les duos, le lieu mérite qu'on fasse un bel événement, et on va pas s'en priver. C'est notre cadeau à nous."
Purepeople : La fête à la maison, en somme. Mais c'est la fête partout, avec Chico & the Gypsies, non ?
Chico : "Ce qui est incroyable, c'est que les gens réagissent partout de la même manière. A Londres, on a fait un super concert à Covent Garden. D'anthologie ! Hugh Grant était là, il a passé la soirée à danser. Nous, on est toujours en concert, on part souvent, mais pas trop longtemps, ça nous fait profiter de chez nous, de notre famille. Et ça nous va très bien comme ça."
Purepeople : A propos de famille, le peuple gitan a récemment perdu Manitas de Plata...
Chico : "Ça a été une tragédie. Pour nous, c'était l'ambassadeur de la culture gitane. C'est quelqu'un qui a fait la fête toute sa vie, je me rappelle l'avoir emmené dans des tournées dans le monde entier. Il aimait profiter de la vie. Après, c'est compliqué, c'est la famille... Il y avait ses enfants qui s'en occupaient, alors on les laissait faire."
Purepeople : Un côté clanique ?
Chico : "Ouais."
Purepeople : Les relations avec les Reyes sont toujours tendues ?
Chico : "Non, la moitié sont mes beaux-frères, avec le temps ça s'est arrangé, y a pas de souci, j'adore... Bon, Manitas, c'est quelqu'un qui a vécu à deux mille à l'heure, et qui voulait vivre comme ça. Moi, quand je lui faisais des remarques en lui disant "c'est dommage", il me disait : "Moi, si je meurs demain, je suis tranquille, je me suis régalé"..."
Purepeople : Du fait de sa disparition, il y a tout un héritage lié à la culture gitane à assumer...
Chico : "Il y a des gens qui représentent très bien cette culture. Nous, nous sommes des musiciens qui nous régalons. J'ai la chance d'avoir son petit-fils qui joue avec moi, Kema, qui est un guitariste extraordinaire. C'est lui qui a l'héritage artistique du grand-père. C'est une pointure, une bombe. Il y a une génération d'artistes dans cette culture assez extraordinaire, des guitaristes, des chanteurs... Regarde le petit Kendji, c'est un Catalan !"
Purepeople : Justement, Kendji Girac, impossible de ne pas en parler avec toi !
Chico : "Depuis des années, en interview, je dis qu'il y a, dans cette culture et dans ce peuple, un vivier de talents incroyable. Et voilà, le petit Kendji est arrivé, il est beau, il chante bien, il a vraiment bossé, il s'est accroché pour y arriver et je suis ravi du succès qu'il a aujourd'hui. Il a eu un parcours atypique. On a fait un duo ensemble à Montpellier lors de la Fête de la Musique, c'était super. Ça m'a fait plaisir, quand il est monté sur scène avec nous, il m'a dit : "Vous êtes mes idoles, je rêvais de ça et je pensais pas que ça arriverait un jour, merci Seigneur !""
Purepeople : Ça ouvre la porte à une éventuelle collaboration ?
Chico : "Tout est ouvert. On arrive à faire Billy Paul, on ferait pas Kendji ?!" (rires)
Purepeople : En revanche, Manolo appartient au passé... Comment as-tu réagi à son départ brutal (en décembre 2010) ?
Chico : "Un jour, Manolo m'a dit qu'il quittait le groupe. Ça a été très brutal. On venait de donner un concert ensemble à Montreux, et le lendemain il m'envoyait un texto en disant : "Chico, je quitte le groupe, je vais faire mon chemin." Je lui réponds : "On était ensemble, pourquoi ne me l'as-tu pas dit ?" Au bout de dix-huit ans, j'ai trouvé ça bizarre. C'est son choix, je le respecte, mais c'est dommage... C'était dommage de quitter le navire à ce moment-là. D'autant que s'il rêvait d'une carrière solo, le petit Kendji a remis les pendules à l'heure. Pour tous les mecs qui voudraient faire un truc gypsy seuls, ça va être compliqué... Ça fait partie de mon histoire, j'en parle clairement."
Purepeople : Quant à sa chanson et son clip pour l'enseigne de produits à petits prix Gifi...
Chico : "J'ai trouvé ça... Ça m'a fait de la peine. Ça le dessert plus qu'autre chose. C'est un grand chanteur, Manolo ; il a une voix, un charisme, et là tout s'est éteint. On s'est croisés une fois ou deux. On a essayé de s'expliquer, mais il voulait faire son truc tout seul, il voulait être Manolo... C'est normal, à un moment donné, tu as souvent dans un groupe quelqu'un qui veut faire une carrière solo. Pourquoi pas ? On n'est pas mariés. Ça m'a fait de la peine parce que ça faisait très longtemps qu'on était ensemble, et surtout à cause de la manière dont il me l'a dit. Franchement... Après, bonne chance. Un jour, mon ami Patrick Sébastien me dit que Manolo est venu le voir alors qu'il était de passage à Palavas pour lui demander de passer dans son émission. Patrick m'a demandé mon avis, et je lui ai dit "laisse-le faire, c'est bien, au contraire". Sauf que c'était pas bien : il est venu, il a fait de la gitanerie... Ça ne s'improvise pas."
Purepeople : Malgré la blessure, et malgré les conditions dans lesquelles ont eu lieu ton départ des Gipsy Kings, on sent chez toi le désir de rester bienveillant...
Chico : "J'ai un petit vécu - tu te rends compte, j'ai eu 60 ans. J'étais déjà comme ça avec les Gipsy Kings, et mes musiciens, j'essaye d'être bienveillant avec, de les protéger. Parce que c'est compliqué, parfois. Avec les Gipsy Kings, on a vécu une aventure extraordinaire, on a fait des choses qu'on n'aurait jamais imaginées. J'ai toujours eu foi dans la musique, mais l'ampleur de ce qu'on a fait... Sauf qu'après, dans ce métier, si tu n'es pas un peu alerte, si tu gardes pas les pieds sur terre, c'est compliqué. La séparation des Gipsy Kings, c'est parce que j'ai voulu les protéger. Ce qu'il s'est passé à l'époque : on cartonnait - on n'avait même pas le temps de changer de valises -, on remplissait des stades, on faisait le tour du monde, mais les revenus ne correspondaient pas à ce qu'on faisait. Et un jour, j'ai demandé des comptes au producteur [Claude Martinez, NDLR], au nom du groupe et avec le groupe. Ce qu'il ne m'a jamais donné. En fait, en lui demandant des comptes, j'ai signé mon arrêt de mort dans le groupe. Ce n'est que ça, l'histoire de la séparation des Gipsy Kings. Après, il les a manipulés. Dans le groupe, il y avait les égo de certains, un peu de jalousie, ce qui est normal, parce que quand on n'est pas connu, on démarre comme ça, et quand vient la notoriété, ça devient une pyramide, et ça devient compliqué. Le mec a joué de tout ça, sauf que nous on était une famille, et ça m'a fait de la peine. Un jour, il me convoque dans son bureau, il me dit : "Mais de quoi tu t'occupes ? Nous, on s'arrangera..." Et moi je lui dis : "Comment, on va s'arranger ? Non, je veux les comptes et les décomptes." Et voilà. J'ai signé mon arrêt de mort, là. Comme j'ai vécu ce truc... Mais je dirais presque que ça m'a rendu service, parce que j'ai vécu d'autres choses seul que je n'aurais peut-être pas vécues avec eux."
Purepeople : Maintenant, tu es à la fois un patriarche et ton propre chef d'entreprise.
Chico : "Complètement. Je suis ça, exactement. Et tant de choses... J'ai eu cette direction à l'Unesco..."
Purepeople : On sent que ça compte pour toi, cette mission auprès de l'Unesco...
Chico : "Oui, parce que ça n'a fait que confirmer mes convictions de paix et de tolérance, que je promeus en permanence. Il n'y a pas un concert où je ne dise pas aux gens que cette soirée-là, je la place sous le signe de l'amitié et de la fraternité. Partout. J'ai été en Israël, en Palestine, en Algérie, en Yougoslavie... Malgré tout, je suis quelqu'un d'optimiste, franchement. Surtout moi - je sais de quoi je parle. On a vécu dans ma famille des tragédies, on a été touchés dans notre chair, et on a pardonné. Il n'y a pas d'école du pardon, tu vois. J'ai un frère qui a été assassiné par les services secrets israéliens. Moi, quand j'ai serré la main à Shimon Pérès et Yasser Arafat pour le premier anniversaire du traité de paix d'Oslo, c'est quand même les gens qui, de par leur représentation, correspondaient à ce pour quoi mon frère a été assassiné dans le pays en question, en Norvège, 23 ans plus tôt... C'est un signe du destin. J'ai un autre frère que j'avais invité, et qui a fait une photo où je serre la main aux deux, et c'est cette image qui a déclenché le rapprochement avec l'Unesco. Ils ne me connaissaient pas par rapport à mon histoire personnelle, ils ne me connaissaient que comme Chico de Chico et les Gypsies. C'est vraiment un signe du destin."
Purepeople : C'est-à-dire ?
Chico : "Déjà, quand je vais à Oslo, c'est parce que les Gipsy Kings, qui devaient y aller eux, n'ont pas voulu prendre l'avion le matin. Ils se sont désistés et l'Unesco s'est retrouvée coincée, avec 6 000 personnes prévues dans la salle, se disant : "Comment on va faire ? Ça va être une catastrophe..." Et là, quelqu'un dans le bureau a dit : "Pourquoi ne demandez-vous pas à Chico, le fondateur, qui a un groupe ?" Ça c'est fait comme ça, ils m'ont appelé, on y est allé, à l'arrache. Un miracle. Et je me retrouve là-bas. Ensuite, on me nomme envoyé spécial de l'Unesco pour la paix. Parrainé par le commandant Cousteau. Et grâce à ça, j'ai fait des rencontres encore extraordinaires : le dalaï-lama, l'abbé Pierre. C'est pour cela que je dis que la séparation, c'était un mal pour un bien. Et puis j'ai accepté, moi j'accepte mon destin. Ça m'a fait beaucoup de peine au départ, mais après, c'est pour eux que j'ai eu de la peine, parce que quand je suis parti, ils se sont fait défoncer. Et jusqu'à aujourd'hui... Là, ils sont en train de s'envoyer des lettres d'avocats. Faire tout ce qu'on a fait pour en arriver là, je me dis c'est dommage..."
Tour du monde en treize titres, Chico & the Gypsies & International Friends :
Les guitares se sont parées de drapeaux du monde entier, et, dandy toujours solaire à 80 ans, mister Billy Paul, fan insoupçonné de Chico et ses Gypsies (dont il passe les disques en voiture avec sa femme !), vient mêler sa voix à celle de Mounin pour une relecture inédite de son hit Me and Mrs Jones ; Nuno Resende enflamme un Hotel California plus latino que jamais ; Jacob Desvarieux et Kassav contribuent au métissage imparable du mythique Syé Bwa, qui devient zouk à la catalane ; Tony Carreira, le dieu vivant de la variété au Portugal, est un Amigo des plus séduisants ; Jessy Matador et les rythmes d'Afrique viennent faire Todos olé avec fougue ; 40 ans après, le chanteur algérien redécouvre sa chanson culte A vava inouva avec les guitares gitanes ; la langueur de Le Soleil donne, de Laurent Voulzy, prend un coup de fouet avec la fraîcheur des Capverdiens Flavel & Neto ; la jeune bomba latina Luyanna chante la gloire du Che dans un Hasta Siempre brillant ; Papi Sanchez, star de la République dominicaine, pose son flow sur Bailame ; Mister Peewee se joint à l'interlude Libertango, avant que Patchai et Sanaï participent à un slow magique, Amor, et que le Collectif Métissé retrouve avec plaisir Chico et sa bande pour l'exubérant Es Samba (C'est Samba) ; quand les sifflets se taisent, c'est... l'icône Kim Wilde qui referme le bal de sa voix suave sur Las Cartas. Quel périple ! Quelle "mosaïque de cultures", pour reprendre la formule chère à Chico !
Propos recueillis par Guillaume Joffroy