Après avoir incarné brillamment des personnages juifs (Mina Tannenbaum au cinéma, Hannah Arendt au théâtre), Elsa Zylberstein replonge dans ses origines avec Un sac de billes. Dans cette seconde adaptation du livre de Joseph Joffo – paru en 1973 et adapté par Jacques Doillon en 1975 – réalisée par Christian Duguay, l'actrice française incarne la mère des deux jeunes héros projetés au coeur de la Seconde Guerre mondiale, fuyant le régime nazi et le génocide.
Un sac de billes fait écho à l'histoire personnelle de la comédienne de 48 ans – et plus particulièrement à celle de son père – et à son enfance au contact de ce roman. Néanmoins, d'entrée, elle prévient : "Je n'ai pas été du tout élevée dans la religion. Mon père est juif, ma mère est catholique. Au-delà des religions, ce sont les rôles qui m'intéressent." Si le choix d'avoir accepté ce rôle n'est "pas du tout lié" à son histoire, elle ne nie pas cette connexion intime avec l'Histoire et avec le livre. "Parce que mon père s'est caché pendant la guerre, il en parlait souvent, parce que le livre – que je trouve beau, fort – était dans sa bibliothèque", explique-t-elle. Elle poursuit : "Mes grand-parents paternels se sont cachés pendant la guerre, à Lyon. Je connais ces histoires, quand mon père me disait qu'ils ne savaient pas où ils allaient dormir le soir."
Pour composer son personnage, Elsa Zylberstein dit avoir "travaillé avec Joseph Joffo, savoir comment sa mère était" et a puisé en elle. "Je l'ai pris avec mon coeur. On mange les rôles, assure-t-elle. J'ai pris des cours de violon pour ce rôle. Je me suis mis dans l'optique, moi qui n'ai pas d'enfants, de savoir ce que c'est quand une partie de vous s'arrache, quand vous dites à vos enfants 'partez vite' sans savoir si vous allez les revoir. C'est plus un travail sur le vide, sur la perte."
Mes larmes, ce sont mes larmes
Passionnée, elle évoque "un rôle fort, émotionnel, tout le temps sur le fil" au coeur d'un "film universel par rapport à aujourd'hui", invoquant "des résonances avec le terrorisme". "Au-delà de la période de guerre et de chaos, c'est comment ils vont se réinventer, trouver de la joie en eux, pour faire face", ajoute-t-elle. Émue, elle fait allusion à quelques scènes dures du film, comme les gifles de Patrick Bruel (le père de famille) données au petit Joseph (joué par Dorian Le Clech). "Quand on fait des films, on vit des trucs. Mes larmes, ce sont mes larmes. Être actrice, ce n'est pas jouer. Quand Patrick donne une gifle au petit, il lui donne vraiment, et moi j'étais sur le fil, Christian voulait que je chiale. Donc on se met dans des états... oui, tous les jours, c'était comme ça. Je puise en moi, tout le temps", confirme-t-elle.
Un engagement très personnel qu'Elsa Zylberstein aime mettre en avant, quitte à ce que cela dérange. "En France, les gens adorent dire le contraire", déplore-t-elle à propos des exorcismes que Marion Cotillard s'est infligés pour sortir du rôle d'Edith Piaf après La Môme. "Être actrice, je suis d'accord avec Marion, c'est rentrer dans les rôles, c'est vibrer, souffrir. Quand j'ai joué Natalie Wood seule en scène, je mettais du temps à revenir, j'étais dans des états, mon propre corps m'étonnait", lâche la comédienne pour qui "les gens vibrent s'ils sentent de la vérité, sinon il n'y a rien". Et d'évoquer un autre souvenir : "Sur Mina Tannenbaum, je tremblais, j'étais au bord de la crise de tétanie. Je suis actrice pour ce prix-là. Pour y laisser des plumes comme avait dit Juliette Binoche un jour. "
Je suis un passeur, je suis vraiment née pour ça
Difficile d'imaginer qu'avant de devenir cette actrice réputée, Elsa était une timide pathologique. "J'étais très timide", confirme-t-elle, affirmant s'être trouvée et "réinventée au théâtre". "Je me surprenais, raconte cette élève du cours Florent. Je me souviens de monologues, alors que je ne connaissais rien au métier, j'avais les mains qui tremblaient et des plaques rouges sur le corps, les gens me disaient 'mais c'est super ce que tu as fait'. Et moi je me disais 'ah mais en fait, je suis un passeur, je suis vraiment née pour ça, pour briller, pour interpréter. Et ça s'est développé au fil des expériences." Et de conclure : "C'est le seul endroit où je me sens légitime."