À 15 ans, la première guitare qu'Alain Souchon a pu s'acheter avec ses maigres économies n'avait que trois cordes. Celle que Laurent Voulzy a tenu dans ses mains pour ses débuts appartenait à son voisin de palier et n'en comptait que quatre. À croire qu'avant même de se connaître, les deux musiciens avaient besoin l'un de l'autre pour se compléter et réussir à faire de la musique.
Leur complémentarité, c'est Bob Socquet, le directeur artistique de leur maison de disque RCA Records qui, au début des années 70, va la remarquer. Souchon, qui doit aujourd'hui prendre des traitements, écrit alors de jolis textes. Voulzy arrange de belles mélodies. Il va les faire se rencontrer.
Leur collaboration ne part pourtant pas sur de bonnes bases. "Au début, se remémorait Voulzy dans les colonnes de la Dépêche du Midi en 2015, j'avais été jaloux d'Alain. Je rêvais de faire un concours qui s'appelait la Rose d'or d'Antibes. J'étais dans la maison de disques depuis plus d'un an et c'est Alain, au bout de 15 jours, qui y a participé et gagné un prix."
"C'était un concours trafiqué, du showbiz", reconnaissait pour sa part le père de Pierre Souchon, son sosie, au micro d'Europe 1 en 2020. Reste que grâce à ce prix, il obtient le droit de faire un album. Pour l'aider à le composer, Socquet convoque Voulzy en disant à Souchon : "Il faut qu'il fasse les arrangements de tes chansons."
La première, J'ai dix ans, sera un succès. Il ne sera plus jamais démenti, à la grande surprise des intéressés : "Tout ce qu'on faisait, ça marchait, expliquait Souchon à Europe 1. Je le dis sans prétention parce qu'on en était nous-mêmes étonnés. On faisait nos chansons Je suis bidon, Y'a d'la rumba dans l'air... Tout ça marchait, c'était dingue."
Les deux associés deviennent vite copains. En 1977, nos confrères de Paris Match réalisent un reportage au château de Chemery. La vieille propriété appartient à la famille d'Alain Souchon. On y retrouve le chanteur avec Françoise, la femme de sa vie, ainsi que Laurent Voulzy et Betty, sa première épouse, décédée en 2015. Leurs enfants sont là aussi. Pierre, côté Souchon, Julien, côté Voulzy. Il n'ont qu'un an d'écart. Entre repas campagnards et soirées guitare, tout ce petit monde vit en pleine harmonie et rares sont les désaccords.
"On ne s'engueule pas parce qu'on ne vit pas ensemble, racontait Souchon à la Dépêche. On peut rester six-huit mois sans se voir. Après, on est content de se retrouver. On s'entend bien, c'est vrai." Son compère renchérissait : "Il y a des gens comme le groupe U2, ils ont acheté des maisons les uns à côté des autres, sur la Côte d'Azur. Avec Alain on est relativement voisin mais on reste parfois extrêmement longtemps sans se voir." Le secret de leur amitié ? Pas toujours.
Au cours de ces cinquante années passées à travailler ensemble, le duo a connu un désaccord. Il aura été bref mais violent et des années après, Laurent Voulzy, qui le rapportait en septembre 2022 dans le documentaire, Alain Souchon, la bande originale de sa vie, ne l'avait pas oublié. Les faits étaient pourtant lointains, l'affaire remontait au début des années 80.
En mai 1983, sur la chaîne qui s'appelait encore Antenne 2, Alain Souchon évoquait en ces termes le duo qu'il forme avec Laurent Voulzy, dont un mystère entoure l'existence du quatrième enfant. "On est un couple avec tout ce que ça comporte de bonheur, de jalousie et de tiraillement". Il ne croyait pas si bien dire. Quelques mois à peine après cette remarque, un événement allait provoquer une rupture entre eux.
À cette époque-là, Souchon était plutôt chamboulé. Il vivait une histoire d'amour passionnée avec Isabelle Adjani rencontrée sur le tournage de Tout feu tout flamme en 1981. Le couple qu'il formait avec Françoise tenait bon, mais la tempête était violente. Etait-il plus sensible, fragile ou susceptible ? Reste qu'au sortir d'un nouveau tournage, celui de L'Été meurtrier durant lequel il avait retrouvé Adjani, il avait hâte de renouer avec la musique. Hélas pour lui, son si fidèle partenaire était aux abonnés absents.
Cet épisode, c'est justement Laurent Voulzy qui le révèle en 2022 dans le documentaire, Alain Souchon, la bande originale de sa vie : "Je m'étais engagé avec lui. Il m'avait dit :'On doit écrire des chansons'. Je lui ai dit 'Oui, Alain'". Problème, dans le même temps, l'interprète de Belle-Île-en-Mer travaille sur un autre projet. Il est en plein enregistrement de son album Bopper en larmes. Un disque dont la majorité des titres sont, comme toujours ou presque, co-écrits avec Souchon, mais pour ce dernier, la mission était achevée, c'était désormais à Laurent de finaliser l'album en studio.
Or, comme Voulzy souligne, "l'enregistrement n'en finissait plus". "L'enregistrement pour moi, ça ne finit jamais. Je mets un temps fou", reconnaissait-il volontiers devant les caméras de France 3. La patience de Souchon avait atteint ses limites. "Un jour, reprend Voulzy, il me dit : 'Laurent, ça fait des mois que j'attends qu'on fasse des chansons ensemble'. Je lui ai dit : 'Je n'ai pas fini mon enregistrement'. Et là, il s'est emporté pendant dix secondes et on s'est raccrochés au nez. (...) Je crois que c'est la seule fois de notre vie."
Au final Laurent Voulzy mettra 13 mois pour mettre sur bande son album. Une éternité. Il faudra beaucoup moins de temps aux deux copains pour se rabibocher... "Trente secondes après, j'ai rappelé Alain. Je lui ai dit : 'On ne peut pas se disputer pour ça. Ça a été plus doux". conclut Voulzy. Le duo était sauvé, mais pas au point de coucher ensemble comme certains le pensent... Deux ans plus tard, en 1985, Souchon sortait son 7ème album studio, C'est comme vous voulez, sur lequel Voulzy signait la musique de cinq titres. Parmi eux, J' veux du cuir et Ballade de Jim... La machine à succès était relancée, l'amitié aussi, encore intacte aujourd'hui.