Créateur de génie et dieu parmi les plus grands guitaristes de ces dernières décennies, Eric Clapton, seul artiste à figurer en triple au Rock and Roll Hall of Fame (en solo, et avec les groupes The Yardbirds et Cream), n'est pas du genre usurpateur. Le légendaire musicien anglais est pourtant en guerre avec la famille du peintre français d'origine danoise Émile Frandsen, pour l'utilisation du tableau La Jeune Fille au bouquet reproduit sur la pochette de l'album Layla and Other Assorted Love Songs, paru en 1970.
L'affaire est en deux volets. Le clan du peintre disparu en 1969 a fait condamner Eric Clapton, dans un jugement rendu le jeudi 28 janvier par le tribunal de grande instance de Paris et rapporté par l'AFP, à verser 15 000 euros pour avoir "dénaturé" l'oeuvre en question dans son utilisation en 2011 pour illustrer un coffret collector marquant le 40e anniversaire de l'album culte - le seul de son éphémère groupe Derek and the Dominos. En pochette de cette réédition, l'oeuvre apparaissait en trois dimensions dans un pop-up avec un autocollant incluant le tableau ainsi qu'une reproduction sur carton, ce que le tribunal a considéré comme "une dénaturation manifeste de l'oeuvre d'Émile Frandsen".
Sur un second plan, la cour a cependant rejeté les demandes de réparation concernant l'utilisation du tableau pour l'album original, estimant que la famille du peintre avait largement connaissance de l'existence de cette pochette et qu'il y a prescription. Décision à propos de laquelle la fille du peintre a annoncé son intention de faire appel : "Le tribunal devait sanctionner la divulgation par Clapton et Polydor en 1970 d'un tableau sans le consentement de l'auteur", a estimé son avocat, Me Antoine Gitton.
Eric Clapton avait découvert La Jeune Fille au bouquet en août 1970, lors d'un bref séjour de Derek and the Dominos dans le Sud de la France, chez l'impresario Giorgio Gomelsky, d'après l'auteur Harry Shapiro. Le musicien aurait immédiatement été captivé par une relative ressemblance entre la figure féminine et Pattie Boyd, femme à l'époque de son ami George Harrison dont il était tombé follement amoureux - des avances repoussées -, et aurait insisté pour que l'image soit utilisée telle quelle, sans le moindre texte (ni titre de l'album, ni nom du groupe), pour illustrer quelques mois plus tard l'album Layla and Other Assorted Love Songs. L'AFP précise que le tableau "a été donné à Eric Clapton à l'été 1970 par le propre fils du peintre, qui avait hébergé le groupe Derek and the Dominos à Valbonne, dans les Alpes-Maritimes".
Layla and Other Assorted Love Songs a été l'un des sommets de la carrière d'Eric Clapton. Culte, la chanson-titre, Layla, est inspirée d'un classique romantique persan qui a traversé les siècles. L'histoire d'amour ultime, impossible, d'un poète - Qaïs - auquel on refuse l'objet de son désir - Layla - et qui en perd la raison. L'artiste s'était épris de ce récit qui reflétait si puissamment sa situation personnelle - son amour impayé de retour pour Pattie Boyd, qui deviendra néanmoins sa femme par la suite (de 1979 à 1989) -, au point de baptiser sa chanson et son album d'après elle. Dans I'm Yours, autre chanson du même disque, Clapton cite même des passages du poème de Nizami, un des auteurs arabes à avoir signé l'une des versions les plus marquantes de cette histoire ancestrale.
Au rayon usurpation d'identité, et dans un registre beaucoup plus léger, Eric Clapton a vécu il y a peu un épisode cocasse, rapporté par la Page Six du New York Post. Alors qu'il s'apprêtait à quitter le Leonora, un fameux bar du quartier de Chelsea, deux jeunes femmes "style mannequins", tout émoustillées par le bruit de sa présence, l'ont intercepté pour faire une photo. Sauf que, ignorant manifestement tout de lui, elles lui ont demandé de prendre la photo et ont pris la pose à côté de l'ami en compagnie duquel Clapton se trouvait ! Très amusé par la situation, le guitariste de 70 ans s'est bien gardé de leur révéler leur méprise, et a immortalisé leur belle rencontre avec son pote !
G.J.