Le visage de Florence Aubenas, 49 ans, grande journaliste enlevée en Irak du 5 janvier au 12 juin 2005, n'est inconnu pour personne. Durant sa période d'enlèvement, la journaliste de Libération avait sa photo placardée partout. Cependant, lorsqu'elle a décidé de tout plaquer l'an dernier pour se plonger dans le quotidien des travailleurs précaires, tous n'y ont vu que du feu.
Lunettes de vue sur le nez, cheveux éclaircis et attachés, cette reporter au Nouvel Observateur s'est installée durant six mois à Caen, afin de s'immerger dans le monde difficile de ceux qui cherchent un emploi. "La crise. On ne parlait que de ça, mais sans savoir réellement qu'en dire, ni comment en prendre la mesure. Tout donnait l'impression d'un monde en train de s'écrouler. Et pourtant, autour de nous, les choses semblaient toujours à leur place. J'ai décidé de partir dans une ville française où je n'ai aucune attache, pour chercher anonymement du travail... J'ai loué une chambre meublée."
Le quai de Ouistreham, tel est le livre dans lequel elle raconte son calvaire ( pas d'autre mot !), qui a débuté par une inscription à Pôle Emploi, avec un CV fictif sur lequel elle donnait son véritable nom, mais justifiait... d'un baccalauréat avec aucune expérience.
Ainsi, elle a vécu un véritable parcours du combattant, enchaînant les CDD harassants aux horaires décalées, tard le soir ou très tôt le matin. Sorti le 18 février dernier, son récit est choc, mais dévoile à la fois le quotidien de nombreux français en difficulté, qui tentent de survivre à la crise, à défaut de mener une vie normale.
Par exemple, à la vue d'une annonce pour une mission de street marketing pour une marque de déodorant, elle relate les dires du recruteur : "Vous avez plus de 25 ans ? Alors pourquoi vous me faites perdre mon temps ? Vous savez bien que c'est un mauvais point pour ce genre de job. Et à quoi vous ressemblez ? Blonde ? Rousse ? Quel style ? Glamour ? Rockeuse ? Je vous préviens, j'ai une pile de candidatures devant moi : au deuxième mauvais point, je raccroche."
Finalement embauchée comme agent d'entretien- le nom élégant pour femme de ménage - , elle raconte cette épreuve : "Il me faut un temps infini pour charrier des seaux d'eau brûlante et essayer de récurer la saleté, incrustée par strates dans la petite salle de bains. Je ne sens plus mes mains, je n'arrive même plus à tenir une éponge. Il faudrait que je bouge les bras, mais il restent tendus et rigides, comme s'ils ne m'appartenaient plus."
Elle accepte même le poste le plus boycotté par les femmes nécessiteuses : récurer les sanitaires du ferry de Ouistreham. "En un quart d'heure, mes genoux ont doublé de volume, mes bras sont dévorés de fourmis et j'écume de chaleur dans le pull que j'avais cru prudent de garder". Il y a des choses drôles aussi dans ce récit, des dialogues hallucinants avec le personnel du pôle emploi, des rapports humains attachants avec ses collégues de misère. Au total, elle ne gagnera jamais plus de 700 euros par mois. On peut juste s'étonner qu'aucun autre poste ne lui a été proposé... ce livre est un peu contreversé, particulierement sur internet.
Passer de journaliste à femme de ménage n'est pas chose facile, mais Florence Aubenas a tenu bon et vous fait part de son expérience dans Le quai de Oustreham, long reportage en vente aux éditions de L'Olivier.