"On va marier Nassim et Delphine pas seulement pour la rime, un second tour sans Marine" : sous ses airs de nouba déjantée, inch'Allah, nouveau single de Grand Corps Malade associé pour l'occasion à Reda Taliani, a tout d'un contre-pouvoir qui a la campagne des prochaines présidentielles dans le collimateur. Le timing est excellent, l'effet de surprise assuré...
Quel changement de registre ! Après le ballet étourdissant, accompagné par le piano galopant de S Petit Nico, mis en scène dans le clip de Romeo kiffe Juliette, c'est à un mariage complètement... mixte, peuplé de guest stars au sommet de leur bien-être et où la fête mêle toutes les couleurs, que Grand Corps Malade nous convie. Yannick Noah survolté du bassin en mode "Saga Africa attention les secousses", Mathilda May en mode "défilé de mode agrémenté de sa petite chorégraphie flamenco", Lilian Thuram en mode "j'ai la classe et je danse comme un dieu", Eric Judor en mode "j'ai la tchatche et je danse comme un boulet" avec option "je drague la mariée", Rim-K du 113 en mode "nous la danse c'est pas trop notre truc mais on est dans la place"... Mais aussi : Jean-Rachid (époux de Katia Aznavour, fille du grand Charles, lequel partagea un duo, Tu es donc j'apprends, sur l'album 3ème Temps de Grand Corps Malade), Juan Massénia (animateur de Teum-Teum), Soprano et Aketo de Sniper, le journaliste-humoriste Alban, l'acteur Moussa Maaskri...
Grosse ambiance qui contraste de manière inattendue avec la sobriété souvent adoptée par les vidéos du slammeur star et dernièrement l'intensité dramatique de Romeo Kiffe Juliette. Changement de registre devant la caméra, certes, mais pas dans le positionnement de l'artiste : après avoir déjà re-exploré son topos de la différence dans Romeo kiffe Juliette, Grand Corps Malade réaffirme son espoir utopique d'un avenir fait de fraternité des peuples et des cultures. Un idéal illustré par cette noce voulue comme un pied-de-nez opportun en ces temps de crise à tous les étages et de débats parfois nauséabonds entre présidentiables : "Un son plein de sourires dans un climat tendu, qui espère et respire dans cette époque tordue : Le son des mariages" / "Ceux qui souhaitent un pays convivial, alors ils croient en une autre identité nationale. C'est le son qui rêve en réalité, change les mentalités, tue la morosité."
Depuis Midi 20, son premier album, l'ancrage de Grand Corps Malade a évolué. De biographique, introspectif et focalisé sur le plaisir de jongler avec les mots, son slam a accentué ses thèmes, ses revendications (Education Nationale en était un jalon éloquent), son aspiration à l'utopie. Une orientation qui permet les espoirs les plus fous et accouche parfois de lyrics sciemment candides (ici : "On mettra des baggys jusqu'à l'Elysée", "L'espoir qu'un jour ce sera normal de voir des block parties à l'Assemblée nationale"), mais n'abroge pas le talent de Grand Corps Malade à manier la langue comme une arme, punchlines à l'appui ("Soyons un peu rêveurs, faut y croire pour le voir", "Plus de quotas dans le foot ni ailleurs, peu importe la couleur on gardera les meilleurs"). La rage positive d'un jeune papa - expérience décrite il y a quelques semaines dans le morceau Définitivement.
Reste encore à relever une importante spécificité de ce inch'Allah : habitué à faire valser les mots, Grand Corps Malade fait là "danser les corps et les coeurs" avec l'aide du chanteur algérois Reda Taliani, proche du 113 et récemment entendu au côté de Sniper sur Arabia. inch'Allah, morceau électro-raï très dansant scandé par le titre-leitmotiv, rompt avec la tradition des instrus minimalistes du slammeur. Son programme à lui dans sa campagne pour 2012 : la fête populaire.
G.J.