Le silence a une fin : celui d'Ingrid Betancourt expirera en septembre, lorsque Gallimard publiera le récit de ses années de captivité aux mains des guerilleros des Farc, inititulé Même si le silence a une fin.
Après six années de séquestration, l'ancienne sénatrice et candidate à la présidentielle en Colombie, libérée le 2 juillet 2008 à l'issue de l'opération Jaque ("échec et mat") couronnée de succès, avait fini, après une longue période d'effervescence médiatique, par disparaître de la vie publique. Elle s'était recluse le temps de rédiger ses mémoires, sa version des faits, tandis que ses détracteurs, toujours plus nombreux et acerbes, dressaient de la Franco-Colombienne de 48 ans un portrait accablant et détestable.
Le 2 juillet, pour le deuxième anniversaire de leur libération, Ingrid Betancourt retrouvait à Bogota quelques-uns de ces compagnons d'infortune auxquels elle a laissé de mauvais souvenirs, dont trois Américains qui l'ont égratignée dans l'ouvrage Out of Captivity.
Pour Ingrid Betancourt, l'Etat colombien est responsable de son enlèvement : elle réclame... 5 millions d'euros !
Pour son deuxième passage éclair en Colombie, Ingrid Betancourt est restée ce jour-là très secrète, ne dévoilant ni ce à quoi ressemble sa vie d'aujourd'hui, ni où elle se déroule. Tout juste a-t-elle mentionné "les blessures qu'il faut soigner" et le "spectacle merveilleux" de voir ce que ses enfants, Melanie et Lorenzo, sont devenus.
Discrète, elle ne l'est pas restée tant que cela, puisqu'on apprend aujourd'hui qu'elle réclame plus de 5 millions d'euros (13 milliards de pesos) à l'Etat colombien via une action engagée contre le ministère de la Défense, en dédommagement de ce qu'elle a vécu, otage des Farc. Alors qu'elle a insisté, lors de son court passage en Colombie (envisager un retour définitif est plus que prématuré), sur sa volonté de se reconstruire et de se consacrer à sa vie de famille, il semble que ce ne soit pas sa seule préoccupation !
Une riposte extrême et des arguments à charge : le gouvernement colombien refuse la conciliation
Face à cet demande d'indemnisation, formulée par Ingrid Betancourt et sa famille dans une double conciliation, pour réparer les dégâts économiques et moraux subis du fait de son enlèvement et pendant les six années de sa captivité, le gouvernement colombien prépare une riposte "extrême" : le palais présidentiel a répliqué qu'Ingrid Betancourt était responsable de son sort et de son enlèvement, dans la mesure où elle avait ouvertement ignoré et méprisé les avertissements répétés des autorités quant à sa sécurité en allant quand même faire campagne dans la région de Caqueta, à San Vicente del Caguan. Le ministère de la Défense, pour sa part, estime qu'il n'existe "aucune preuve, aucun élément objectif" selon lequel la responsabilité de l'Etat colombien pourrait être engagée dans l'enlèvement et la détention d'Ingrid Betancourt par les Farc, selon une déclaration lue par le secrétaire général Luis Manuel Neira.
"Surpris et navré" de la requête d'Ingrid Betancourt, le gouvernement a mis ses services juridiques sur le dossier, et s'appuiera notamment sur les efforts diplomatiques et militaires qu'il a consacrés à la libération d'Ingrid Betancourt et des autres otages.
L'ancien commissaire pour la paix Camilo Gomez fournit des détails encore plus préjudiciables pour la demande de l'ancienne sénatrice, affirmant que le ministère de la Défense a en sa possession un document signé qui atteste qu'Ingrid Betancourt, en rejetant les avertissements du gouvernement et des forces armées, était responsable de sa sécurité : "Le jour de son enlèvement, l'ancienne candidate à la présidentielle est arrivée à un barrage militaire lui barrant l'accès à une zone de guerre, où le risque était élevé. A ce point de contrôle, elle a signé un document où elle assumait pleinement la responsabilité de ce qui pourrait lui arriver". Ingrid Betancourt, dans la conciliation qu'elle a présentée au gouvernement, soutient quant à elle que, ce jour-là, des officiers de l'armée l'ont assurée que rien ne se produirait, qu'il n'y avait pas de danger.
Si les deux parties ne trouvent pas de terrain d'entente, il y aura procès.
Un communiqué officiel explicite...
Le ministère de la Défense de Colombie a publié le communiqué suivant :
"Le ministère de la Défense nationale est autorisé à informer le public que :
• Le 30 Juin, le ministère de la Défense nationale a reçu deux demandes de procédures de conciliation, par lesquels Mme Ingrid Betancourt Pulecio et sa famille (Yolanda Pulecio Vélez, Astrid Betancourt Yolanda Pulecio, Mélanie Delloye Betancourt Delloye Claire Lorenzo Betancourt), par l'intermédiaire de son avocat, le Dr Ernesto Juan Gabriel Devis-Morales, demandent à la Nation, de verser, en vertu de l'article VI du décret de 1716, 2009, les dommages et intérêts qui, à leur avis, découlent de l'enlèvement de Mme Ingrid Betancourt Pulecio.
Les dommages estimés s'élèvent à environ 13 milliards de pesos.
• Le ministère de la Défense a exprimé sa surprise et sa douleur concernant la présentation des demandes, en particulier au regard des efforts et de l'engagement des forces de sécurité dans la planification et l'exécution de l'opération Jaque dans lequel les femmes et les hommes des forces armées ont risqué leur la vie pour la liberation des otages.
• Comme c'est de notoriété publique, le Dr Ingrid Betancourt Pulecio, qui fut candidate à la présidentielle, a rejeté les recommandations insistantes des forces de sécurité et d'autres autorités de ne pas continuer à se rendre dans la commune de San Vicente del Caguan, Caqueta, pour l'élaboration d'une mesure de sa campagne électorale.
• Le ministère de la Défense nationale est convaincu qu'il n'existe aucune preuve objective amenant à déterminer la responsabilité de l'État dans ces incidents."
On rappellera que, si Ingrid Betancourt ne se lasse pas d'exprimer son amour pour la Colombie, ses détracteurs, nombreux, s'élèvent contre "le coup fatal" que son ouvrage La Rage au coeur et que sa séquestration ont porté à l'image de l'Etat sud-américain. Une dénonciation qui prenait un tour tout à fait véhément dans l'enquête impitoyable de Mario Torres : Ingrid Betancourt, Ce qu'elle n'a pas dit ...
G.J.